Interview

Projet Democratia

ou comment revitaliser le vote des jeunes


Sources : Relations publiques Projet Democratia


Le renouveau démocratique ? L’électorat jeune ? Voilà bien des notions qui semblent pouvoir correspondre à une liste d’espèces en voie de disparition.

 

Alors, nous pourrions vous sortir les différentes statistiques de l’INSEE qui vous dirait que l’abstention des jeunes doit être relativisée selon les milieux socio-économiques, selon les élections, selon l’actualité…

Mais vous nous connaissez, nous allons mettre les deux pieds dans le plat : les jeunes se désintéressent de la politique, et le droit de vote ressemble de plus en plus à un choix semblable à aller faire les courses dans une biocoop ou commencer une nouvelle série Netflix.

 

Maintenant que ce joyeux constat est fait, il convient de s’intéresser à l’élection présidentielle française. Toujours selon l’INSEE, l’électorat qui s’abstient « systématiquement » en 2017 est celui certes des plus de 80 ans, mais surtout celui des moins de 30 ans. Et vous savez quoi ? Cela ne devrait vraiment pas aller en s’arrangeant, car c’est l’IFOP cette fois ci qui le 12 décembre 2021 montre dans un sondage que près de 6 électeurs sur 10 entre 18 et 25 envisagerait de s’abstenir.

 

Alors, que pouvons-nous faire ?

 

Aujourd’hui, le Parrhèsiaste donne la parole à Alexandre Agache, étudiant à Sciences Po Lille, et à Pierre-Olivier Bodin, étudiant à Sciences Po Bordeaux, qui sont responsables des relations publiques de leur association fondée en 2021 : Projet Democratia.



Pour commencer, parlez-nous de votre idée : pourquoi ce « Projet Democratia » et comment tout a commencé ?

 

Je pense que le déclic a été l’abstention massive des 18/24 ans aux élections régionales qui avoisinait les 87%, notre action s’est étendue à partir de cette date clé.

 

Au début, c’était uniquement « Democratia » mais les membres fondateurs voulaient donner une temporalité à l’association. C’est devenu « Projet Democratia » puisque nous plaçons notre action dans le cadre de l’élection présidentielle. Si le projet s’inscrit dans une temporalité, cela reste plus largement la volonté d'intégrer la parole des jeunes dans le débat public et plus largement dans notre démocratie qui anime l’association.

 

Projet Democratia est née au printemps 2021. Anthony Bouvier ((étudiant à Paris II - Panthéon - Assas) et Juliette Lenglart (étudiante à Sciences Po Bordeaux) ont bâti autour d’eux une petite équipe d’une dizaine d’étudiants qui a grandi puisque nous sommes aujourd’hui plus de 80 membres partout en France.

 

 

Le projet se base sur un « Manifeste pour rendre sa place à la jeunesse dans la démocratie française » que vous définissez comme un « Appel de la jeunesse à la jeunesse ». Quelles sont vos principales idées et que réclamez-vous ?

 

Cet appel revêt plusieurs aspects.

 

Le premier, absolument essentiel, est un appel pour encourager la jeunesse à s’investir dans le débat public, pour affirmer les thématiques phares qui importent aux jeunes. Cet appel « de la jeunesse à la jeunesse » prend forme au travers du Projet Democratia, qui se veut l’interface entre une jeunesse désintéressée de la politique traditionnelle, et la politique qui ne tente, ou du moins n’arrive pas à parler aux jeunes. Nous ambitionnons d’être acteur dans cette reconstruction du lien entre jeunes et politiques, c’est pourquoi nous souhaitons parler franchement aux jeunes.

 

Le deuxième appel est celui, plus singulier, de notre projet à la jeunesse.

Le postulat est simple : c’est parce que la jeunesse est l’avenir de la démocratie qu'elle doit dès aujourd’hui occuper une place centrale en son sein. Si la jeunesse ne s’empare pas, ne fait pas sienne la démocratie, nous pourrions perdre ce bien précieux. Or, les jeunes votent de moins en moins et de fait se refusent le droit de faire bouger les lignes. Projet Democratia se fixe pour objectif de rendre accessible à tous la politique. Pour ce faire, notre action se structure autour de trois axes. D'abord, nous produisons une veille de l’actualité politique ayant pour but d’expliquer de manière didactique les principaux enjeux du débat public, notamment en vue de la présidentielle 2022. De même nous conjuguons la réalisation d’interviews de personnalités politiques de premier plan comme François Hollande ou Yannick Jadot, et l’organisation de conférences, axées actuellement sur la présidentielle au sein des 10 plus grandes villes françaises. Ce dernier point a trait à notre volonté de mettre un pied dans le concret pour permettre aux jeunes de rencontrer des personnalités politiques directement dans les universités et écoles françaises.

 

Des jeunes, motivés et confiants quant à l’avenir et la pérennité de la démocratie se mobilisent déjà pour faire prendre conscience à leur génération que tout est possible s’ils enfilent leur costume d’acteur. À tous ceux souhaitant contribuer à remettre les jeunes au centre de la politique, à renouer le lien entre jeunes et politiques, vous pouvez agir pour renforcer la démocratie et stopper l’hémorragie représentative, corollaire à la crise de confiance que subissent nos démocraties contemporaines. Nous faisons passer un message essentiel : mobilisez-vous ; exprimez-vous ; allez voter !

 

 

Vous appelez les jeunes à voter, à s’exprimer et à participer à la vie démocratique : mais n’est-ce pas une vision un peu utopique de penser que la jeunesse peut encore se mobiliser en masse pour des idéologies ? Que pensez-vous du vote blanc ?

 

D’abord il s’agit de voir ce qui se trouve sous l’étiquette “idéologie”. Si l’on entend l’idéologie comme étant un système d’idées générales érigé en doctrine philosophico-politique, alors non les jeunes ne s’engagent plus pour un paradigme de pensée qui dicte leur action. Aujourd’hui, le problème ne vient pas d’un déficit de mobilisation des jeunes puisqu’ils s’engagent politiquement au travers de formes nouvelles d’expressions. En effet, les jeunes se mobilisent pour des causes qui se veulent beaucoup plus concrètes et participent à la vie démocratique à leur manière, à l’instar de ce qu’exprimait Alexis de Tocqueville en ces termes : « dans les démocraties, chaque génération est un peuple nouveau ». Ils sont engagés dans des associations. Ils se mobilisent via des répertoires d’actions politiques qui ne sont pas traditionnels. Les jeunes utilisent la pétition, le boycott ou encore la manifestation ; somme toute des procédés innovants qui sont en décalage avec les méthodes d’action de leurs parents.

 

En fait, la seule chose que les jeunes ne font pas c’est voter. Or, on ne peut pas être souverain si on ne vote pas. Pour les raisons évoquées plus haut, Nous pensons que la jeunesse peut se mobiliser pour une vision. En réalité, elle le fait déjà aujourd’hui. Prenons la lutte contre le réchauffement climatique, notre génération est porteuse de cette prise de confiance, cependant celle-ci ne s’exprime pas dans les urnes, elle s’exprime à travers des modes d’expressions nouveaux au travers des réseaux sociaux, et réemployés comme les grandes marches pour le climat. Lorsque les jeunes se mobilisent avec ces marches pour le climat, ils croient en une idée, celle de l’écologie politique ; quand des manifestations sont organisées pour protester contre le génocide des Ouïghours dans le Xinjiang, les jeunes disent « nous défendons les droits de l’Homme » et en cela ils se positionnent en fonction des idées qu’ils défendent - et cela fonctionne, à l’instar de la résolution votée à l’unanimité par l’Assemblée la semaine passée, reconnaissant « officiellement les violences perpétrées par les autorités chinoises à l’encontre des Ouïghours comme constitutives de crimes contre l’humanité et d’un génocide » .

 

Pour ce qui est du vote blanc, il faut d’abord le distinguer du vote nul. C’est une forme d’expression. Nous trouvons dommage que le vote blanc ne compte pas. Même s’il est affiché dans les résultats, son taux n’exerce aucune influence. Pourtant, le vote blanc exprime quelque chose, probablement un rejet des idées proposées. Il s’agit de penser le problème de fond au sein duquel s’inscrit le vote blanc, qui est celui de la crise de la représentativité. Aujourd’hui 72% des personnes sondées par Fondapol envisagent d’exprimer un vote contestataire (vote blanc, nul ou extrême soit LFI ou RN) lors de la présidentielle 2022. Ce chiffre doit nous alerter et nous faire réfléchir quant aux moyens d’agir pour contrer ce naufrage de la démocratie qui ouvre la voie à une vague populiste grandissante et un espace public délétère.

 

 

Vous défendez donc l’action du vote, la participation citoyenne : mais n’avez-vous pas le sentiment que le « vote utile » est de plus en plus devenu une norme ? Que les jeunes électeurs sont davantage animés par le rejet d’un parti ou d’un homme politique que par leurs convictions ?

 

Le vote utile est consubstantiel à notre mode de scrutin et a toujours existé sous la Vème République. Cependant, les sondages - bien qu’il ne soit pas un outil scientifique à proprement parler - démontrent un accroissement de la logique d’un vote “contre” plus que d’un vote “pour”. L’adhésion autour des candidats ne semblent plus s’opérer et la rupture est entamée, à l'aube de la présidentielle 2022. Si ce constat est à replacer dans le cadre de l’opinion public dans sa globalité, touchant l’ensemble des catégories d’âge, il n’y a pas de fatalité. En effet, les jeunes doivent s’affirmer dans le débat public pour imposer les thématiques qui leurs tiennent à cœur ; c’est comme cela qu’on passe d’un vote utile à un vote d’adhésion pour une personne, un projet et des idées. On le constate avec l’initiative citoyenne de la primaire populaire, une surreprésentation de la jeunesse est à souligner parmi les inscrits.

 

L’enjeu aujourd’hui est de raviver la flamme démocratique dans le cœur des jeunes. Le cas échéant, les thématiques plébiscitées par les personnes âgées - qui s’abstiennent peu et représentent 1⁄4 de la population française actuelle, une proportion suffisante de la population pour passer au second tour de la présidentielle - resteront à l’ordre du jour de l’agenda politique et médiatique. Les votes des personnes âgées pèsent aujourd’hui plus que ceux des jeunes proportionnellement à leur poids démographique, notre rôle est d’inverser la tendance en convaincant les jeunes qu’ils ont un rôle à jouer, un futur à dessiner, des projets à concrétiser.

 

 

 Que répondez-vous à des jeunes qui vous disent : « je suis politisé mais apartisan, je ne me reconnais dans aucune des offres politiques actuelles » ?

 

D’abord, nous ne pouvons que t’encourager à te renseigner concernant les candidats et leur programme. La sensibilité électorale est un processus de fond qui s’opère par un esprit critique aiguisé et une connaissance des principaux sujets du débat public.

 

Si l’offre ne te convient pas, alors engage-toi ! Construis, façonne et érige un projet qui te ressemble et te correspond. Les seules barrières existantes sont dans ta tête et rien ne t'empêche de penser et d’appliquer ta propre vision du monde.

 

Nous sommes les acteurs de demain, que nous le voulions ou non, alors prenons nos responsabilités et construisons le monde que nous voulons ; si l’offre politique ne te satisfait pas, mobilise-toi pour une cause, une personne, une idée qui te tient à cœur. Tout engagement est non seulement souhaitable mais nécessaire dans une démocratie.

 

 

Votre tribune a recueilli la signature de 135 élus « de tous bords politiques » : quels projets concrets sont portés et comment envisagez-vous leur mise en place ?

 

Notre tribune revient sur la nécessité de renforcer l’enseignement de l'Éducation Morale et Civique au lycée.

 

Nous avons structuré nos propositions autour de trois axes concrets. Le premier a trait à l'augmentation du nombre d’heures allouées à cet enseignement qui est aujourd’hui un enseignement marginal, servant davantage de cours de récréation plutôt qu’à un cours d’éducation citoyenne. Notre deuxième proposition s’axe autour de l’instauration d’un projet citoyen réalisé en collaboration avec des acteurs publiques et dirigé entièrement par les élèves au gré de leurs envies. Notre dernière requête aspire à systématiser les visites de classe par les élus locaux.

 

Maintenant que nous savons que les élus soutiennent nos propositions, nous réfléchissons à les mettre en place ! Nous pensons que l’école est un des socles de la socialisation et que c’est par celle-ci que la démocratie s’apprend, se pense et se transmet. Notre proposition d’élargissement de l’EMC au collège et lycée s’inscrit d’ailleurs dans la continuité de ce que propose le rapport Bronner - avec la création d’un enseignement aux médias et à l’information (EMI) - sorti un mois après notre tribune.

 

 

Un mot pour terminer : quel message souhaitez-vous laisser à nos lectrices et lecteurs ? Avez-vous des conseils de lecture ?

 

D’abord, nous vous remercions chaleureusement pour nous avoir permis de nous exprimer concernant la jeunesse et sa place dans le débat public. Nous remercions également les lectrices et lecteurs de la revue Le Parrhèsiaste : n’hésitez pas à nous faire des retours pour discuter et débattre avec nous !

 

Un dernier mot, informez-vous ; mobilisez-vous. Allez voter, portez la voix de la jeunesse lors des prochains scrutins. Et surtout n’oubliez pas, nous sommes les acteurs de demain, nous devons assumer cette responsabilité pour notre avenir.

 

Nos conseils de lecture :

 

(Pierre-Olivier Bodin) Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie, Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire où les auteurs dressent le portrait de notre génération, conjuguant à la fois un pessimisme acide et un espoir étincelant.

La Fracture, Comment la jeunesse d’aujourd’hui fait sécession où François Dabi cherche à comprendre les différences entre la jeunesse et le reste de la population, tout en questionnant les raisons de la fracture entre elle et la société dans sa globalité.

 

(Alexandre Agache) Jeunesse où Pierre Nora propose un récit autobiographique narrant ses échecs et son parcours dans sa jeunesse.

Comment gouverner un peuple roi ? Nouveau traité d’art politique. Cet ouvrage est un traité de philosophie politique qui établit le constat des critiques érigées face à la démocratie libérale, réfléchissant de même aux moyens d’insuffler un renouveau démocratique.

 

 

Il convient tout d’abord de conclure cette interview en remerciant par courtoisie mais également par réelle sympathie Alexandre et Pierre-Olivier qui nous ont contactés pour parler de leur projet. Le Parrhèsiaste, tout comme Projet Democratia, est porté par des jeunes âgés de 18 à 25 ans, qui s’investissent à leur échelle et selon leur envie pour améliorer ou en tout cas tenter de comprendre le monde qui nous entoure.

 

L’association Projet Democratia porte en elle un espoir, celui de donner un souffle à la démocratie en assurant son avenir. Cet espoir est réellement et objectivement mis à mal par la réalité des sondages, les discours des jeunes interrogés et bien sûr par les résultats des différentes élections.

 

Mais, si ces arguments et ce projet ne vous ont pas convaincus, ou si vous restez toujours aussi sceptiques face à l’échéance électorale, alors prenez le temps de bien observer. Observez l’histoire de ce droit de vote, observez l’histoire de la démocratie et de notre Vème  République, tentez de comprendre les différents combats politiques et la construction des partis mais aussi l’émergence des nouvelles formes d’expression. Et peut-être qu’après tout ça, après ce temps pris à penser, à réfléchir, vous trouverez l’envie et une raison de vous lever un matin et d’aller mettre votre volonté dans une urne.

 

Pierre Jouin