Instant Crush


 
Ligne de crédit : Unsplash

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On m’avait dit que 2021 ne pouvait pas être pire que 2020 pour le monde de la musique. On m’avait dit que l’électro était un style au potentiel incroyable et que sa force résidait dans sa capacité à relier futur et passé dans un temps présent. Mais on ne m’avait pas dit que ce 21 février 2021, le monde devrait faire sans un fameux duo casqué… Voici donc un éloge aux Daft Punk, pour aujourd’hui et pour l’éternité.

 

 

Entre anonymat et voix robotisée : la recette du succès

 

La musique électro n’est pas née avec les Daft Punk, c’est certain. Le duo se forme officiellement en 1993, alors que des artistes comme Jean-Michel Jarre donnaient leurs lettres de noblesse à l’électro français depuis la fin des années 1960. Toutefois, les années 1990 se cherchent une identité musicale après le passage du rock, du disco, du hard rock… Et les Daft Punk s’engouffrent dans cette brèche, tout en restant sensibles aux courants cinématographiques et futuristes de l’époque. Dix-huit et dix-neuf ans, et les deux Français sont caractérisés par une volonté de se démarquer sans faire de vague, sans connaître une pression médiatique immense pour leur talent.

 

C’est ainsi que Thomas Bangalter s’affuble d’un casque argenté à visière, tandis que son compère Guy-Manuel de Homem-Christo fait le choix d’un d’une coiffe dorée permettant une vision plus large, comme tournée vers l’espace. Quoiqu’il en soit, les deux artistes intègrent des écouteurs dans cette tête robotisée, comme pour garder la musique dans leur esprit à chaque instant. Et dire qu’avant d’être des œuvres à 65 000$ pièce, les coiffes des Daft Punk étaient des masques de carnaval… Mais l’objectif est toujours resté le même : échapper aux journalistes et préserver leur vie privée, quitte à ne pas apparaître à la télévision avant 2008 pour une cérémonie des Grammy Awards.

 

Eh oui, six Grammy Awards pour 4 albums studios et près de 30 ans de carrière… L’idée est d’explorer les limites de l’électro, de trouver un équilibre en l’Homme, le musicien, et la machine, le synthétiseur, les boxes, en cherchant à exploiter toutes leurs ressources disponibles. Leurs albums studios sont donc ainsi marqués par l’envie de ne pas se recycler, de vivre leur musique et d’ainsi proposer de véritables opéras de musique électro. Si Human After All ne fait pas l’unanimité, c’est aussi car l’image de l’humain qui en est dressée est dérangeante, qu’elle nous ramène à notre faiblesse et à la fatalité de notre existence. Ce n’est donc pas une ode au transhumanisme, mais plutôt un désir d’exprimer les craintes, les espoirs et les possibilités qu’amènent les nouvelles technologies.

 

 

De grands silences et des œuvres au bout du suspense

 

La une de Libération du 21 février 2021 s’est attachée à critiquer les silences répétés, les promesses non tenues et les « projets avortés » du duo casqué. En effet, c’est près de 4 années qui séparent chacun de leurs 3 premiers albums, et près de 8 ans pour la sortie de Random Access Memories. Les Daft Punk ne sont pas définis par leur rapidité d’action et de création, et la surprise de leur séparation après plusieurs années de silence en est la preuve. On pouvait avoir l’impression que le monde avait oublié les robots musiciens. Par ailleurs, il est vrai que comparé à la plupart des artistes, le nombre de leurs compositions et de leurs œuvres en trente années de carrière peut sembler dérisoire.

 

Mais ce que nos chers amis défenseurs du public opprimé et des fans frustrés oublient, c’est qu’une communauté se construit d’abord et avant tout GRÂCE aux artistes qui l’inspirent. Et en particulier, s’il y a bien une chose que les Daft Punk ont toujours souhaité, c’est composer et créer sans répondre à l’attente des critiques et du public. De plus, « seulement » quatre albums, mais que dire des nombreux remixes, des deux films présentés à Cannes, de la bande originale de Tron Legacy ou encore des nombreux featurings de qualité…

 

Car ce qui caractérise ce duo, c’est bien la qualité indubitable de leurs albums et de chacun de leurs morceaux. Bien sûr, si vous avez en horreur l’électro et la house votre appréciation des Daft Punk peut-être un tantinet limité. Mais chaque album possède son identité propre et sa personnalité, chaque morceau transpire une sonorité différente, chaque composition en partenariat ne gagne pas son originalité qu’avec une participation externe. Ce groupe possède un pouvoir métamorphe peu commun, capable d’enflammer un dance floor, d’accompagner la préparation d’un repas ou encore de guérir un cœur d’une rupture difficile… Sensualité, émotion, rythme, voyages : autant de mots qui peuvent qualifier l’œuvre des deux Français, et qui compensent largement la patience de leurs fans.

 

 

Un héritage pour nous faire vibrer, one more time

 

Que nous laissent les Daft Punk ?

 

Tout d’abord, ils font non seulement partie du mouvement musico-artistique de la French Touch, mais ils en sont à bien des égards les créateurs. En effet, cette expression peut se définir comme une version française de la house music, avec l’utilisation de samples comparables à ceux du funk ou du disco. Daft Punk entre bien dans cette catégorie, car leurs premiers sons sont très inspirés de cet héritage musical. Toutefois, ils donnent une dimension musicale bien plus grande à la French Touch, en intégrant des sonorités du jazz, du rock, en proposant des featurings de pop ou de rap. Ils s’imposent ainsi comme les artistes musicaux français les plus influents au niveau mondial, en collaborant avec des personnalités comme Pharrell Williams ou Kanye West.

 

Ensuite, les deux musiciens correspondent parfaitement à la notion « d’artistes altruistes ». J’entends par là qu’ils ne se sont pas limités à leur seul succès en recherchant des partenariats et des interprètes de classe mondiale. D’une part, la plupart des interprètes de leurs œuvres sortent souvent de l’anonymat et n’ont parfois pas connu de grande carrière à la suite de leur collaboration. On peut ainsi prendre l’exemple de Julian Casablanca, qui brille dans l’hymne à la singularité du sentiment amoureux, Instant Crush. D’autre part, les Daft Punk, c’est une volonté constante de rendre hommage aux hommes de l’ombre, à celles et ceux qui œuvrent à travers leur musique au succès de groupes mais également de films célèbres. C’est le cas par exemple de Giorgio by Moroder, une mélodie dédiée à l’excellent Giorgio Moroder, compositeur entre autres de Maniac pour le film Flashdance et de la bande son de Scarface.

 

Au final, outre leurs musiques, c’est tout un univers de travail, de talent et de rêves qui semble se fragiliser avec la séparation artistique des deux amis. Les raisons sont inconnues, le duo restant fidèle à sa tradition de discrétion et de talent caché. Leur vidéo d’adieu sur Youtube, Épilogue, nous rappelle donc une période musicale qui ne s’est jamais tarie, une envie de futur et d’exploration musicale qui se poursuit encore aujourd’hui à travers des artistes comme Alan Walker ou Worakls. Alors même si aujourd’hui Daft Punk n’existe plus, leur œuvre, elle, reste bien vivace et a permis de lancer de talentueux artistes.

 

Ils sont arrivés comme des explorateurs venant d’une autre planète, ils sont repartis comme des légendes de notre monde.

 

Pierre Jouin