Hivers
I
Sous les cieux cendrés, soupirent éternellement
ces anges dont les ailes pourrissent avec le temps ;
et dans les glaces immenses des galeries,
je vois passer en pleurant leur convoi maudit.
Errant au travers des catacombes ombragés,
le peuple fantôme infiltre l'affreuse ville,
et laisse résonner, parmi ses grandes places vides,
les tristes mélodies d'un hiver à Paris.
Sur les plaies béantes de nos âmes endeuillées,
des démons dansent, crachent et déversent le venin.
Au-dessus des tombeaux de ceux partis trop tôt,
nos prières s'élèvent au loin, hélas, s'élèvent en vain.
II
Hiver, au pied de ton trône, pourrissent les fleurs flétries de l'automne. Recouvrant la nature entière de ton blanc linceul, tu lui as donné la couleur exacte de mon cœur.
Alors que je priais sur la tombe de l'unique amour (et unique reine de mes royaumes imaginaires), perchés sur les branches de l'arbre squelettique, des corbeaux ont moqué ma douleur. Depuis les branches défleuries, dans les cieux planent encore l’écho de leur cri.
A l’heure où je m’élancerai vers les pays célestes, — porté par l’unique espoir de retrouver celle qui vers leurs horizons s’envola bien trop vite, — auras-tu, comme moi, conservé nos souvenirs d’ici-bas ? Trop longtemps exilée, pourras-tu seulement te souvenir de mon nom ?
III
Hier encore,
sur le chemin du cimetière,
l’herbe était verte,
et les fleurs si belles.
Aujourd’hui,
l’herbe est brûlée.
Dégradées par le froid,
toutes les fleurs se sont nécrosées.
Sur le marbre noir qui recouvre
le seul cœur que j’ai aimé,
— que toujours j’ai aimé seul, —
les nuages me sont apparus si bas.
Je les entendais rire, et ils riaient
car l’un d’entre eux avait osé
prendre la forme de ton visage;
et, — tandis que le reste du ciel était bleu—
il s’amusait à passer devant mes yeux.
Pierre Legendre