Dossier historique : Nouvelles violences criminelles et adaptations impérieuses des forces de police en France au début du XXème siècle (1/2)
La période choisie pour ce dossier de recherche sur les évènements policiers, judiciaires et criminels est celle du début du XXème siècle. Ce choix est particulièrement motivé par le fait que cette période est une époque très troublée à la fois par l’émergence de nouvelles formes de violences criminelles et par la première guerre mondiale.
Au début des années 1900, on perçoit diverses tensions diplomatiques, la menace de guerre augmente constamment. L’Etat français cherche alors à se préparer ainsi qu’à anticiper d’éventuelles difficultés notamment en matière de sécurité. La projection d’envoi massif des forces armées sur le front inquiète fortement le gouvernement. Peu de temps avant le début du conflit mondial, la circulaire du 9 juillet 1913 du ministre de l’Intérieur met en exergue cette volonté de maintenir l’ordre à tout prix pendant la guerre. Le gouvernement craint une potentielle percée dans la brèche que pourrait créer une diminution de la présence des autorités. La gendarmerie et la police seront alors en sous-effectif et bien plus vulnérables sur la partie arrière du front, il devient donc nécessaire pour les dirigeants du pays de trouver une solution. Les autorités vont donc tenter de se réorganiser pour faire face au défi majeur qu’est la première guerre mondiale. La criminalité, bien que modérée durant la guerre et surtout moins médiatisée au profit d’informations sur le conflit mondial, persiste sur le territoire français notamment dans les villes importantes et plus particulièrement Paris. On voit arriver cependant une nouvelle forme de délinquance et de criminalité, une forme qui semble s’émanciper des critères traditionnels de la criminalité courante que l’on retrouve au XIXème siècle. Ces changements importants rendent désormais nécessaire une réorganisation des autorités de sécurité intérieure. Le début du XXème siècle semble donc marquer un tournant majeur dans le renforcement et la modernisation de la police et de la gendarmerie.
Nous avons utilisé divers documents pour constituer ce dossier. Les archives nous ont été nécessaires notamment pour analyser et reconstituer chronologiquement l’affaire Landru, une affaire jugée cruelle et terrible par une grande partie de la population française ; elle est sans nul doute l’affaire criminelle majeure durant la première guerre mondiale et peut être même du début du XXème siècle. Pour cela, nous avons majoritairement utilisé la presse numérisée avec les principaux titres de la presse française tels que Le Petit Parisien ou encore Le Matin ; trouvés sur la plateforme en ligne « Gallica » ainsi que « Retronews ». Pour appuyer nos propos, nous nous sommes intéressés à des ouvrages comme Le cas Landru, à la lumière de la psychanalyse de Francesca Biagi-Chai et de Jacques-Alain Miller[1], qui nous donne une vision très détaillée de l’affaire. D’autres ouvrages comme Histoire des gendarmes : De la maréchaussée à nos jours de Jean-Noël Luc[2] ou encore Histoire des polices en France des guerres de religion à nos jours d’Emmanuel Blanchard, Denis Vincent, Arnaud-Dominique Houte et Vincent Milliot[3] sont venus compléter nos ressources en nous offrant une perspective plus globale afin de comprendre les véritables enjeux de ce début du XXème siècle en matière de sécurité intérieure.
1- La police française aux prises avec de nouvelles formes de violences criminelles
1.1- Les nouveaux visages de la criminalité
En ce début de siècle marqué par l’industrialisation et bientôt la première guerre mondiale, les structures traditionnelles de la vieille société se délitent et la criminalité augmente. A titre d’exemple, l’année 1906 voit 103 000 affaires criminelles et correctionnelles classées sans que les auteurs aient pu être identifiés.
La délinquance prend même de nouveaux visages et s’appuie sur le progrès technique pour faire échec à une police dont les méthodes et le matériel n’ont que trop peu évolué depuis Vidocq.
1.1.1- Une délinquance et une criminalité juvéniles
La belle époque voit l’éclosion de bandes de jeunes individus organisés que la presse nommera « les Apaches ». Les bandes comme celles de Ménilmontant ou de Belleville vont sévirent à Paris, d’autres bandes du même type opéreront, essentiellement en milieu urbain dans les autres grandes villes de province. Un sentiment de déferlement va envahir parisiens et autres citadins notamment à la lecture du Petit journal qui, en 1907, fera la une de son supplément illustré avec le triplement en cinquante ans de la criminalité juvénile. Cette annonce est à relativiser si l’on considère l’effet d’une époque où l’on médiatise davantage une criminalité qui a toujours existé. On peut également ajouter que cette criminalité n’était pas non plus comptabilisée auparavant et que l’impression de déferlement due aux chiffres est également subjective. Néanmoins le phénomène existe et cette délinquance des rues sombres se révèle au grand jour. Les membres de ses bandes sont tous jeunes et arborent souvent des tatouages identiques ou d’autres signes distinctifs. Pour les décrire, le journaliste du Matin Henri Fouquier dira d’eux : « Par contre, nous avons l'avantage de posséder, à Paris, une tribu d'Apaches dont les hauteurs de Ménilmontant sont les Montagnes rocheuses. Ceux-ci font beaucoup parler d'eux [...]. Ce sont des jeunes hommes pâles, presque toujours imberbes, et l'ornement favori de leur coiffure s'appelle les rouflaquettes. Tout de même, ils vous tuent leur homme comme les plus authentiques sauvages, à ceci près que leurs victimes ne sont pas des étrangers envahisseurs, mais leurs concitoyens français. »
Au-delà d’une délinquance crapuleuse de vols à la tire et autres détroussements, ces « Apaches » commettent des actes de violence gratuite, de vols avec violence et même de viols.
1.1.2- Des assassinats particulièrement effrayants
Les assassinats ne sont pas plus nouveaux que la délinquance en bande organisée mais lorsqu’il s’agit de meurtres en série perpétré par un individu solitaire dont la tenue policée cache un profil qu’on qualifierait aujourd’hui de psychopathique, on a cette fois affaire véritablement a un phénomène nouveau.
La presse française avait déjà fait état de ce type de meurtrier mais outre-manche, en Angleterre, avec le tristement célèbre Jack l'Éventreur ayant sévi dans le district londonien de Whitechapel en 1888. En France, c’est quelques années plus tard qu’on trouve dans la presse la trace d’un certain Joseph Vacher, un sergent réformé devenu vagabond, qui sera surnommé le « tueur de bergers » ou le « Jack l'Éventreur du Sud-Est », né à Beaufort (Isère) le 16 novembre 1869 et exécuté à Bourg-en-Bresse le 31 décembre 1898. Mais c’est véritablement au début du XXème siècle que la France connaitra celui qu’on qualifiera à postériori comme le premier « sérial killer » français en la personne de Landru.
1.1.3- Des bandes organisées dont les équipements surpassent ceux de la police
Les crimes en bandes organisées semblent être davantage planifiés et réfléchis qu’auparavant. Nous pouvons le constater notamment par le biais des nombreux crimes de la Bande à Bonnot qui met en avant une certaine préméditation, une organisation rigoureuse.
Ce gang était un groupe criminel anarchiste français qui opérait en Belgique ainsi qu’en France entre 1911 et 1912. La particularité de cette bande résidait dans le fait qu’elle utilisait une technologie de pointe que la police elle-même ne possédait pas : comme les automobiles mais surtout les fusils à répétition, fusils très performants à cette époque. La police enregistre un grand nombre d’effractions, de vols ou encore d’assassinats commis par la bande à Bonnot, initialement nommée les « Auto-Bandits ». Jules Bonnot est considéré comme étant le chef de plusieurs dizaines de sympathisants anarchistes, bien que ces derniers désapprouvent le système hiérarchique, Bonnot étant plus âgé et expérimenté, s’impose comme véritable leader de cette bande.
Leur crime le plus médiatisé à cette époque est sans nul doute le braquage de la Société Générale à Paris, l’une des principales et plus anciennes banques françaises, qui a lieu le 21 décembre 1911. On perçoit par cet acte, une certaine innovation sur le plan de l’organisation des criminels. En effet, c’est la première fois qu’une voiture est utilisée pour commettre un braquage en France. Le lendemain, l’événement fait la une des journaux comme nous pouvons le constater dans Le Petit Parisien, du 22 décembre 1911[4] : « Quatre bandits, en automobile, assaillent un encaisseur et fuient en fusillant les passants ». Dans d’autres journaux, la bande à Bonnot est même surnommé « la bande en automobile », ce qui renforce véritablement cette idée d’usage de nouveaux procédés par les criminels. Cette bande commet d’autres crimes plus ou moins importants mais semble non appréciée par l’opinion publique qui réclame l’arrestation de l’ensemble des anarchistes de la bande.
Le 21 mars 1912, Le Matin, publie une lettre de Garnier, membre de la bande. Dans cette lettre, il y provoque la police et l’appelle en quelques sortes, à jouer à un jeu ; il la met au défi de l’attraper sans pour autant se faire d’illusions sur son sort : « je sais que je serai vaincu que je serai le plus faible, écrit-il, mais je compte bien faire payer cher votre victoire ». Cela témoigne d’une certaine vanité du criminel type du début du XXème siècle, celui-ci ne semble plus craindre les autorités policières, il sort de l’ombre et commet ses crimes au grand jour. De plus, les moyens mis à sa disposition des unités de gendarmerie semblent être obsolètes par rapports aux moyens dont disposent les criminels. On peut le constater le 25 mars 1912 à Montgeron, lors du vol orchestré par trois membres de la bande à Bonnot (Bonnot, Garnier, Callemin), d’une limousine de De Dion-Bouton, un constructeur français d’automobiles. Les membres de la bande à Bonnot s’emparèrent de l’automobile et allèrent braquer à l’improviste la Société générale de Chantilly. En entrant dans la banque ils tuèrent deux employés et volèrent environ 50 000 francs, une somme colossale. Les gendarmes furent alertés rapidement mais ne purent mettre en déroute les trois anarchistes, ils ne disposaient que de vélos et de chevaux, pas assez rapides pour rattraper l’automobile. Ainsi, ce genre de crimes utilisant les dernières technologies en matière d’armement et de locomotion, va pousser les autorités à se perfectionner et se moderniser également.
1.2- La science et la technique au service de la police
En ce début du XXème siècle la police va tenter de s’adapter aux nouvelles formes de crimes et de délits. Etant moins présents sur le territoire français à cause de la guerre et n’ayant pas les moyens nécessaires pour lutter correctement contre ces nouveaux profils de criminels, la police va changer son mode de fonctionnement. La bande à Bonnot semble marquer un véritable tournant puisque c’est la première enquête où la police a recours à des techniques scientifiques comme l’empreinte digitale mais aussi à la collaboration entre des services de police français et les services de police belges.
Les enquêtes criminelles exigent davantage de connaissances scientifiques, celles-ci doivent être plus précises afin de lutter plus efficacement contre les criminels. C’est d’ailleurs ce que souligne Edmond Locard, professeur français de médecine légale (1877-1966) : « Nul ne peut agir avec l'intensité que suppose l'action criminelle sans laisser des marques multiples de son passage ». Edmond Locard fonde le premier laboratoire de police scientifique au monde en 1910 à Lyon. Il est considéré comme étant un pionnier dans le domaine scientifique en rapport avec la police. C’est lui qui va mettre en avant l’expertise des armes, des impacts mais aussi des taches de sang, il développe également l’analyse ainsi que l’interprétation de la preuve dactyloscopique. Ses travaux restent modestes mais témoignent tout de même d’une importante transformation des techniques de travail de la police. Deux autres pionniers français de renom : Alphonse Bertillon, créateur de l’anthropométrie judiciaire et Alexandre Lacassagne, co-fondateur de l’anthropologie criminelle ont également contribués, avec Edmond Locard, au développement scientifique de la police. C’est grâce à ces trois scientifiques que les indices sur la scène de crime, jusque-là muets, vont alors se mettre à parler, permettant ainsi d’identifier le criminel en question.
D’autres scientifiques étrangers travaillant sur l’amélioration des techniques employées par la police sont à mentionner comme Henry Faulds (1843-1930), physicien écossais qui, en reprenant les travaux de William James Herschel (1833-1917), affirme que les empreintes digitales peuvent être utiles dans le but d’identifier des personnes et plus particulièrement des criminels pour la police. En France, c’est le professeur Locard notamment qui va insuffler un changement aux policiers en matière scientifique. Il se montre indispensable comme on peut le lire dans La Dépêche de Brest, le 20 janvier 1921[5] : « Locard, directeur du laboratoire de police technique. C’est un savant de premier ordre, dont la réputation en matière de recherches judiciaires est devenue mondiale. » Il est même évoqué dans ce journal, la volonté de créer d’autres écoles de police fondées sur le modèle de Lyon, plus performante scientifiquement : « Au ministère de l’Intérieur, on songe, parait-il, à créer en France cinq ou six écoles de police dans le genre de celle qui fonctionne à Lyon, laquelle, d’ailleurs, ressemble beaucoup à notre école de Paris. Cette création dans nos provinces est devenue indispensable. En effet, quand on se trouve en présence d’un crime ou d’un vol important, on procède dans les laboratoires de Paris ou de Lyon à des constatations d’abord et à des opérations très délicates ensuite, qui donnent presque toujours des résultats surprenants. ». On perçoit bien ici que le lien entre la police et la rigueur scientifique devient de plus en plus fort. La science s’avère être un élément essentiel pour mener à bien les enquêtes criminelles même si elle ne permet pas de tout résoudre.
1.3- Les brigades mobiles comme nouvel atout de la police française
Face à ces nouvelles formes de criminalité, la police est sans nul doutes mal préparée, elle n’a guère d’autres choix que de changer son mode de fonctionnement. Au début du XXème siècle, la police n’est pas nationale mais cantonale. Georges Clémenceau, mesurant l’urgence de renforcer la police, parvient à obtenir un arrêté ministériel, le 6 mars 1907 permettant la création d’un Contrôle Général des Services de Recherches Judiciaires, sous le commandement de Jules Sébille. Le décret du 30 décembre 1907 instaure les douze « brigades du Tigre » également nommées les brigades régionales de la police mobile. La création de ces brigades se révèle être véritablement nécessaire à l’adaptation de la police à l’évolution de la société, comme le souligne l'introduction d'un des épisodes de la série télévisée policière française : Les « Brigades du Tigre » :
« 1907. En ce début de siècle où la vie se transforme au rythme accéléré d'une industrie triomphante, les structures traditionnelles de la vieille société se brisent chaque jour davantage derrière la façade de la Belle Époque. La criminalité augmente dans des proportions d'autant plus inquiétantes qu'une délinquance nouvelle est née qui s'appuie, elle, sur le progrès technique et fait échec à une police archaïque dont les méthodes et le matériel n'ont guère évolué depuis Vidocq. Un chiffre est plus éloquent que tout : au cours de l'année 1906, 103 000 affaires criminelles et correctionnelles ont été classées sans que les auteurs aient pu être identifiés. L'année 1907 s'annonce pire encore. Il y va de la sécurité des villes et des campagnes »
Environ 500 policiers mobiles sont alors recrutés au sein de ces brigades, ils sont initiés et entrainés à différentes techniques de combats comme la « canne » ou encore la « savate ». Ils sont considérés comme étant l’élite de la police, réprimant efficacement les criminels. En effet, environ 2500 criminels sont arrêtés un an après la création des brigades mobiles.
Les hommes de ces brigades sont bien préparés, ils possèdent une très bonne forme physique et utilisent toutes les ressources scientifiques disponibles comme les fiches anthropométriques avec les empreintes digitales par exemple. De plus, ils disposent de moyens plus performants pour atteindre leurs objectifs tels que des téléphones, des télégraphes et même des automobiles notamment grâce à l’affaire Bonnot de 1912, qui a révélé l’intérêt majeur pour la police, de posséder plusieurs automobiles.
Les résultats de ces brigades mobiles sont excellents, elles totalisent environ 2695 arrestations en moins de 2 ans. Par leurs enquêtes, leurs présences et leurs surveillances, ces brigades maintiennent une pression forte et constante sur le banditisme. Elles sont très efficaces sur le terrain et semblent même dissuader de nombreux individus au comportement déviant. Elles sont à l’origine du démantèlement de la « caravane à pépère », une bande d’une centaine de nomades ainsi que de l’arrestation des membres de la Bande à Bonnot.
Les brigades mobiles s’imposent donc véritablement comme force d’élite de la police au début du XIXème siècle. C’est d’ailleurs la 1ère brigade (brigade de Paris) qui va s’illustrer en 1919 avec l’arrestation du criminel Henri Landru, par l’inspecteur Jules Belin.
Sacha Nizet
[1] BIAGI-CHAI Francesca, MILLER Jacques-Alain, Le cas Landru, à la lumière de la psychanalyse, 2014
[2] LUC Jean-Noël, Histoire des gendarmes : De la maréchaussée à nos jours, 2016
[3] BLANCHARD Emmanuel, VINCENT Denis, HOUTE Arnaud-Dominique, Milliot Vincent, Histoire des polices en France des guerres de religion à nos jours, 2020
[4] CF annexe 1 (partie 2)
[5] Cf annexe 2 (partie 2)