Dossier historique : Nouvelles violences criminelles et adaptations impérieuses des forces de police en France au début du XXème siècle (2/2)


 
Claudio SchwarzLigne de crédit : Unsplash

Claudio Schwarz

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2- Henri Landru ou le « Barbe Bleue de Gambais » 

2.1- Henri Désiré Landru, un personnage atypique

 

              Henri Désiré Landru est né le 12 avril 1869 à Paris et décède le 25 février 1922 à Versailles, il est issu d’une famille modeste, son père étant chauffeur et sa mère couturière et blanchisseuse, il connait une enfance que l’on pourrait qualifier d’heureuse. En 1893, Landru épouse sa cousine Marie Catherine Rémy et deviendra alors père de quatre enfants : Marie-Angèle (née le 24 juin 1891), Maurice-Alexandre (né le 4 mai 1894), Suzanne (née le 7 avril 1896), et Charles (né le 1er avril 1900). Très rapidement, il est difficile pour Henri Landru de subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de sa famille du fait de sa situation professionnelle irrégulière. En effet, il enchaine une dizaine de métiers très différents les uns des autres : plombier, couvreur, comptable, cartographe et autres encore. Malgré tout, cela ne lui réussit point puisqu’il ne parvient pas à gagner sa vie et peine à s’en sortir. Il va alors songer à trouver une nouvelle alternative afin de s’extirper de la pauvreté.

A partir du début des années 1900, Landru tombe dans l’escroquerie et est très rapidement condamné et emprisonné. Il est, par la suite, contraint de payer de nombreuses amendes pour ses délits. Il ne fera néanmoins que très peu de prison, ses crimes étant des crimes relativement mineurs. En revanche, dès 1909, Landru est condamné à trois ans de prison ferme pour vol d’argent à une femme nommée Jeanne Isoret, une dame qu’il aurait séduit avant de lui extorquer son argent. Cette condamnation marque le début d’une sombre série de vols et d’assassinats.

En effet, peu de temps après, en 1914, Landru est condamné pour une affaire qui semble bien plus importante encore : une escroquerie liée à la revente d’un garage qu’il avait acheté et qu’il n’avait pas encore payé. Landru décidera de prendre la fuite pour échapper à la justice et sera donc condamné par contumace à une lourde peine de quatre années de prison. Cette peine compte tenu de la récidive sera alors assortie d’une peine dites de « relégation », ce qui signifie qu’il est condamné, en vérité, à être déporté à vie au bagne de Guyane. Ainsi, depuis cette dernière affaire, Landru est contraint de vivre de la façon la plus anonyme qui soit, sous peine d’être définitivement arrêté par la police, qui voit en cet individu, une réelle menace pour la société. En effet, lors de son passage en prison, les policiers avaient défini le profil psychologique de Landru, ce dernier était alors considéré par les autorités, comme étant un homme véritablement psychologiquement « perturbé ». C’est d’ailleurs ce que soulignent Francesca Biagi-Chai et Jacques-Alain Miller dans leur ouvrage[1]: « un état mental maladif qui, sans être de la folie, n'est plus du moins l'état normal ».

 

En fuite, Landru doit se résoudre à vivre une vie de hors-la-loi. Il parvient à disparaitre et ne laisse aucunes traces aux autorités judiciaires, très débordées durant la guerre. Cependant Landru ne semble pas être le seul individu à disparaitre en région parisienne, puisque de nombreuses femmes sont portées disparues. Celles-ci sont pour la plupart d’entre elles veuves ou encore vieilles filles qui souhaiteraient se marier. En effet, le contexte était particulier au début du XXème siècle notamment à cause de la première guerre mondiale, Landru a su en tirer profit en se faisant passer pour un veuf ainsi qu’en utilisant des noms différents à de nombreuses reprises. Ainsi, il parvient à faire la connaissance d’environ 300 femmes par le biais d’agences matrimoniales. Landru analyse chacune de ces femmes et cherche à en tirer un maximum d’argent en les séduisant puis en les volant. N’ayant pas d’atouts physiques mais étant séducteur et drôle, il parvient à être convainquant et à obtenir ce qu’il souhaite, il invite certaines femmes qu’il a soigneusement sélectionné au préalable, à séjourner dans des pavillons, d'abord à La Chaussée-près-Gouvieux, près de Chantilly, puis à Vernouillet, et enfin à Gambais. Une fois logées, Landru les assassinait, les brulait pour faire disparaitre les corps et récupérait leur argent. Il a ainsi tué une dizaine de femmes ente 1915 et 1919. Gambais semblait être l’endroit idéal pour que Landru puisse mettre ses plans à exécution, les maisons étaient très éloignées les unes des autres.

Son plan semblait être parfait mais jouant sur plusieurs tableaux, Landru se prend peu à peu à son propre piège. De nombreuses incohérences vont interpeller le maire de Gambais, qui fera ouvrir une enquête, menée par le commissaire Dautel.

 

 

 

2.2- Une enquête complexe qui découle d’une affaire cruelle

              C’est à la fin de l’année 1918 que le maire de Gambais reçut plusieurs lettres, l’une était de Mme Pellat, qui demandait des nouvelles de son amie Mme Collomb qui selon toute vraisemblance, s’était établit à Gambais avec son fiancé M. Dupont, ce dernier n’étant en réalité que Henri Landru. Le maire lui répondit peu de temps après et lui affirma qu’il ne connaissait pas cet individu. Une autre lettre attira également l’attention du maire. Elle avait été écrite par Mme Lacoste, qui quant à elle, demanda au maire de Gambais des nouvelles de sa sœur Mme Buisson, laquelle s’était installée avec un certain M. Frémyet qui là encore n’était personne d’autre que Landru. Les deux femmes disparues avaient un point commun : elles avaient toutes deux répondues aux mêmes annonces de rencontre parues le 16 mars 1915 dans l’Echo de Paris et le 1er mai 1915 dans Le Journal.

Toutes ces incohérences poussent le maire de la ville de Gambais à mettre les deux familles en relation, celui-ci découvre alors que M. Dupont était la même personne que M. Frémyet. S’en suit alors une enquête de police menée par Jules Belin, jeune inspecteur de 35 ans à cette époque, qui avait toutefois participé à l’arrestation de la bande à Bonnot. L’enquête débute et les témoignages des habitants de Gambais commencent à affluer, de plus, les fumées noires, très marquées ainsi que l’odeur très désagréable provenant de la villa louée par Landru, accentuaient les soupçons des inspecteurs. Selon de nombreux témoignages, l’homme en question arrivait très souvent accompagné d’une femme mais repartait toujours seul de ces pavillons. L’on peut citer (par ordre chronologique) onze victimes, un homme et dix femmes : Jeanne Cruchet, André Cruchet (fils de Jeanne), Thérèse Laborde-Line, Marie-Angélique Guillin, Berte-Anna Héon, Anna Colomb, Andrée-Anne Babelay, Célestine Buisson, Louise-Joséphine Jaume, Anne-Marie Pascal et Marie-Thérèse Marchadier. L’enquête se prolonge mais piétine, la police ne parvient pas à retrouver l’homme qui aurait manipulé et tué les nombreuses femmes.

 

Néanmoins, quelques mois plus tard, et très certainement par chance, l’enquête avance considérablement. En effet, une voisine de Mme Lacoste parvient à identifier le mystérieux criminel à la sortie d’un magasin de faïences, rue de Rivoli à Paris, accompagné d’une autre femme cette fois-ci. Très vite, cette voisine prévient la police, permettant ainsi à Belin de localiser l’individu. Ce dernier pu obtenir l’adresse de Landru par le vendeur du magasin qui l’avait enregistré pour le livrer les jours suivants. Landru avait pris certaines précautions et avait donné le nom de « Lucien Guillet » au vendeur afin d’éviter tout soupçon. Cela ne suffit pas puisqu’il est arrêté par la 1ère brigade mobile (brigade de Paris), quelques jours après à son domicile le 12 avril 1919. Après un excès de colère lors de son arrestation, Landru ne dit plus un mot et demanda un avocat par la suite.

 

Il semble alors que Landru ne puisse se défendre seul, toutes les preuves étaient contre lui : que cela soit les vêtements des victimes retrouvés dans les pavillons, le reste de certains ossements ou encore des gros tas de cendres. Landru aurait très certainement découpé ses victimes en plusieurs morceaux afin de pouvoir les brûler plus facilement. De plus, son journal personnel est retrouvé, dans celui-ci, où son véritable nom était indiqué, il racontait le déroulement de ses nombreuses rencontres. L’on ne compte pas moins de 283 femmes nommées dans son carnet, ces dernières étaient « triées » et « répertoriées » tel du bétail que l’on vendrait. Ces femmes constituaient pour Landru, une véritable source de revenus. L’une des preuves majeures contre Landru se révèle être l’achat des billets de train, en effet, lors de ses séjours à Vernouillet ou à Gambais, Landru achetait pour lui un aller-retour, tandis que pour sa prétendante, il avait acheté uniquement un allé simple. La police parvient à identifier les onze victimes d’Henri Landru mais un doute persiste concernant une éventuelle douzième victime. L’affaire, jusque-là très peu connue par les Français, fait alors grand bruit et apparait quelques jours plus tard dans les journaux, donnant ainsi de nombreuses informations sur l’enquête comme nous pouvons le constater dans Le Petit Parisien, le 16 avril 1919[2] : « deux nouvelles victimes sont imputées à Landru ». Chaque jour, l’on apprend de nouvelles choses sur cette affaire notamment la date du procès de Landru qui aura lieu en novembre 1921.

 

 

 

2.3- Le procès de Landru : un évènement spectaculaire

              Comme nous l’avons évoqué précédemment, l’arrestation de Landru fit grand bruit ; et l’impact de cet homme, en termes de fascination, sur la population fut très important; ainsi par exemple, environ 4000 bulletins portaient le nom de « Landru » furent déposés dans les urnes aux élections législatives de 1919. De façon plus « cocasse », il reçut par ailleurs plusieurs milliers de lettres dont beaucoup stipulaient une demande en mariage. Il était véritablement connu après la guerre et est considéré comme l’un des premiers tueurs en série français. Le procès à lieu deux ans plus tard, le 7 novembre 1921 à la Cours d’Assises de Seine-et-Oise à Versailles. Il est d’ailleurs très médiatisé et toute l’aristocratie se presse pour y assister. C’est un évènement très attendu qui fait la une des journaux comme celle du journal Le Temps, où le procès de Landru se présente comme étant un élément central avec le titre suivant, en première page : « Après plus de deux ans et demi de détention préventive, Landru comparait aujourd’hui devant les jurés de Seine-et-Oise ».

Lors du procès, la Cour est présidée par le président Gilbert assisté de Messieurs Schuler et Gloria, comme assesseurs et enfin M. Godefroy comme avocat général. Landru, quant à lui, choisit comme avocat M. Vincent de Moro-Giafferi, un orateur très renommé. Ce dernier est assisté par M. Auguste Navières du Treuil tandis que les parties civiles sont représentées par M. Lagasse et M. Surcouf.

Durant le procès, Landru prétend être uniquement un escroc et non un assassin, il ne semble pas réellement perturbé par les différentes questions qu’on lui pose et semble même évasif lorsqu’il s’agit d’éclairer la Cour. Les audiences sont nombreuses mais Landru conserve son calme, il ne donne aucune informations précises : « Je suis aux regrets, monsieur l’avocat général, mais je n’ai qu’une tête à vous offrir » (Henri Landru lors de l’audience du 12 novembre 1921). Au fil des audiences, les preuves mises en avant condamnent Landru ; néanmoins, un doute persiste à la Cour. En effet, l’on voit défilé de nombreuses femmes, mères ou encore sœur des victimes, ces dernières très attristées et émues, n’affectent pas Landru qui reste totalement impassible. Il ne semble absolument pas être touché par les divers témoignages des proches des victimes ce qui interroge grandement la Cour. En effet, l’absence des corps des victimes complexifie le procès, c’est pourquoi en contrepartie, de nombreuses pièces à convictions sont apportées au tribunal ; la cuisinière dans laquelle Landru était supposée avoir fait brûler les corps de ses prétendantes est même transportée dans la salle d'audience ; ce qui témoigne de l’intérêt pour la recherche de preuve et l’organisation méthodique de la police.

 

La plaidoirie de son avocat Moro-Giafferi se montre déterminante et spectaculaire lors du procès d’Henri Landru. Il va tenter un coup de maitre devant le président de la Cour. L’avocat décide d’appeler à la barre, l’une des victimes présumées. A ce moment, toute la salle se retourne vers la porte pensant l’apercevoir. Personne ne vient, et Giafferi fait remarquer au président qu’en se retournant, tout le monde avait un doute concernant cette histoire. S’ils étaient certains que la femme était morte, personne n’aurait réagi de la sorte. En revanche, l'avocat général remarque que seul Landru n'a pas détourné le regard, en effet, seul lui connait la vérité. Il n’a pas espérer la voir car il sait qu’elle est morte, il sait qu’il l’a tué et qu’elle ne peut réapparaitre, ce que souligne parfaitement le président. Prenant cet élément en compte ainsi que les nombreuses preuves contre Landru, il est décidé que Landru était coupable. Son recours en grâce est rejeté par le président de la République de l’époque : Alexandre Millerand. Il est alors condamné à mort le 30 novembre 1921 et est guillotiné le 25 février 1922 à la prison de Versailles par le bourreau Anatole Deibler. Peu de temps après, son avocat, Moro-Giafferi fait part à la presse de son dernier échange avec Henri Landru, échange que l’on peut aisément retrouver dans Le Petit Marseillais, le 26 août 1922 : « Il avait les mains liées, les pieds entravés… les aides de M. Deibler allaient le saisir pour le jeter sur la bascule de la guillotine. Je me suis approché de lui, et, à voix basse, penché à son oreille :

- Voyons Landru, je vous ai défendu de toutes mes forces et je suis là encore comme votre dernier ami. Il faut que je sache si je dois, maintenant, défendre votre mémoire. Dites-moi le secret de votre vie…

- Alors, me regardant dans les yeux, profondément, pesamment :

- Non-maître… je vous remercie, mais mon secret… je l’emporte. C’est tout mon bagage ».

C’est par ces derniers mots que se termine la terrible affaire Landru.

             

              Le début du XXème siècle semble donc marquer une étape majeure dans l’histoire de la criminalité comme dans l’histoire de la police. Celle-ci a su s’adapter aux nouvelles formes de criminalité et a même su reprendre l’avantage sur les criminels grâce à une volonté politique se traduisant par de nouvelles directives stratégiques et organisationnelles ainsi que par des hausses de moyens techniques et humain, mais également grâce au développement et au progrès de la criminologie qui s’appuie désormais sur la science et la technique.

Avec les brigades mobiles naît véritablement la police judiciaire et une nouvelle ère dans la lutte contre la criminalité, la direction centrale de la police judiciaire, reconnaissante rend d’ailleurs un véritable hommage à son créateur au travers le logo qu’elle s’est composée ; logo qui représente une tête de tigre ainsi que le profil de Georges Clémenceau.[3]



Sacha Nizet

[1] BIAGI-CHAI Francesca, MILLER Jacques-Alain, Le cas Landru, à la lumière de la psychanalyse, 2014

[2] CF annexe 3

[3]

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ANNEXES:


Annexe 1 : Le Petit Parisien, 22 décembre 1911, page 1

 



Annexe 2 : La Dépêche de Brest, 20 janvier 1921, page 1

 

 

Annexe 3 : Le Petit Parisien, 16 avril 1919, page 2