Dossier historique : Violences criminelles et difficultés policières en mars 1887 (1/2)
La période choisie pour ce dossier de recherche sur les évènements policiers, judiciaires et criminels est le mois de mars et dans de moindres proportions le mois d’avril 1887. Ce choix a été principalement motivé par le fait que ce mois de mars est très représentatif de l’année, voire de la période, dans le domaine des crimes et délits qui prolifèrent en France, notamment dans les grandes villes à cette époque.
De ce point de vue, on peut d’ailleurs considérer que le XIXe siècle fut véritablement obsédé par la question du crime comme le souligne Dominique Kalifa, dans son ouvrage Crime et culture au XIXème siècle [1]
Nous étudierons en particulier Paris, ville très vaste regroupant environ 2 344 550 habitants en 1886 selon l’INSEE. La France quant à elle, compte, la même année, environ 39 783 000 habitants, toujours selon l’INSEE. On constate depuis les années 1880, une hausse de la criminalité notamment dans la capitale où l’on perçoit une montée en puissance de la délinquance comme en témoigne l’affaire majeure de 1887 qui se déroule entre mars et août : Le triple assassinat de la rue Montaigne. Cette affaire marquera les esprits et sera très suivie par la population parisienne. L’année est aussi marquée par l’émergence des mouvements anarchistes, très dangereux, ces derniers étant souvent liés au terrorisme. Le 11 janvier 1887, Clément Duval, membre du groupe anarchiste poignarde le brigadier Rossignol lors d'un cambriolage, il est alors condamné à mort mais est finalement gracié et se voit obligé d’exercer des travaux forcés.
Le crime et le délit font partis du quotidien des parisiens et d’un grand nombre de français. Ce sont des éléments très présents mais aussi très médiatisés. Le climat général n’est pas favorable tant à l’échelle nationale qu’à l’échelle internationale. En effet, La France connait des tensions politiques avec certains pays notamment l’Allemagne à cause de l’affaire Schnæbelé entre le 20 et le 30 avril 1887. C’est un important incident diplomatique : un commissaire de police français est enlevé par des policiers allemands sur le « territoire français » menant alors les deux pays au bord de la guerre. La France et Paris en particulier connaissent de nombreuses tensions, que cela soit à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. De plus, le président de la République Jules Grévy démissionne sur fond de scandale, le 2 décembre 1887. Ce dernier était président de la République Française depuis le 30 janvier 1879. Tous ces événements mettent en avant une profonde instabilité en France et plus particulièrement dans la capitale où sont concentrées les fonctions de commandements dans le domaine militaire, financier ou encore politique. L’année 1887 est une période complexe et instable, notamment avec les tensions au sein de la société que nous étudierons plus précisément. La ville de Paris, plus que toute autre, nous montre bien ce malaise, cette insécurité qui règne dans les villes et dans de moindres proportions dans les campagnes. La police parisienne est en réelle difficulté mais tente tout de même de réguler cette délinquance et cette criminalité toujours plus violente et fréquente dans la société. Ainsi, à l’instar de la société française, la criminalité change progressivement de visage, appelant, en réaction, une adaptation du système judiciaire et une transformation des méthodes et de la structure même des services de police.
Nous avons utilisé divers documents pour constituer ce dossier. Les archives nous ont été nécessaires notamment pour analyser et reconstituer chronologiquement le Triple assassinat de la rue Montaigne à Paris mais aussi pour dépeindre la brutalité et la fréquence des crimes dans la capitale ainsi que dans la société française. Pour cela, nous avons majoritairement utilisé la presse numérisée avec les principaux titres de la presse parisienne trouvés sur la plateforme en ligne « Gallica ». Nous nous sommes concentrés notamment sur l’un des 4 principaux journaux de cette époque : Le Petit Parisien qui par ses grands titres, explique d’une façon claire et précise les différents événements à Paris. De nombreux crimes et délits y sont mentionnés. Cela nous permet ainsi de percevoir l’omniprésence et la violence de ces derniers. Pour appuyer nos propos, nous nous sommes également intéressés à des ouvrages tels que la gendarmerie, police judiciaire au XIXème siècle de Jean-Claude Farcy[2]. Ce dernier nous a été très utile notamment dans l’explication des difficultés éprouvées par la police en matière de contestation en particulier. Nous avons pu par celui-ci observer les agissements de la police, la façon dont elle intervenait, ses faiblesses et ses atouts ainsi que sa place dans la société. En comprenant cela, nous comprenons davantage la situation des habitants et la complexité de la société. L’article « Quelques échelles de la violence. Les policiers en tenue et l’espace parisien dans la seconde moitié du XIXème siècle » de Quentin Deluermoz[3], nous offre une vision détaillée et précise de la violence à la fin du XIXème siècle, ce qui nous permet alors d’analyser en détail l’année 1887.
1- Un véritable sentiment d’insécurité sous la 3ème République
1.1- Une augmentation de la fréquence des crimes
Dès le début du XIXème siècle, on perçoit un profond sentiment d’insécurité de la part des français et cela notamment dans les villes. C’est en particulier dans la deuxième moitié de ce siècle que ce sentiment se renforce. En effet, la preuve la plus flagrante est l’analyse de la fréquence des crimes et des délits. Les meurtres, les viols, les vols sont l’un des sujets majeurs des journaux à l’époque. Le journal Le Petit Parisien met en avant toute cette violence que cela soit dans les villes ou encore dans les campagnes. En l’année 1887, chaque jour, de nombreux cas de crimes et de délits sont mentionnés. En étudiant la deuxième moitié du mois de mars et la première moitié du mois d’avril, nous avons constaté l’omniprésence des crimes et des délits qui reflètent bien l’instabilité éprouvée dans la société. Le 22 mars 1887 semble être l’exemple parfait pour mettre en exergue la récurrence des crimes et leur omniprésence. En effet, dans le journal Le Petit parisien et plus précisément dans la rubrique « Paris » ; on perçoit un grand nombre de crimes et de délits dans la capitale. Nous pouvons en citer quelques-uns : un homme nommé Benoit Joly, âgé de 49 ans, tonnelier de métier a été retrouvé assassiné gisant dans le puits de la maison qu’il habitait, au 256 rue de Charenton. Un vol de 23000 francs a été commis au préjudice de M. Vadier, facteur aux halles ,70 boulevard Sébastopol. Des tentatives de vol et de meurtres sont également mentionnées le même jour.
Les crimes urbains sont souvent à l’honneur dans les faits divers des quotidiens, ils font même parfois, et de plus en plus souvent, la une. Ce qui laisse à penser qu’ils sont certainement plus nombreux qu’en campagne. Il va de soi que l’on peut corréler le nombre de crimes au nombre d’habitants. A cette époque, les campagnes représentent 2/3 du territoire français, on peut donc en déduire que plus que le nombre, c’est la concentration d’habitant qui impacte le taux de criminalité. En 1887, les crimes et délits en campagnes et dans les petites villes sont tout de même nombreux ; certains, très particuliers ou peu communs sont mentionnés dans les journaux locaux mais aussi dans les journaux parisiens. Nous pouvons prendre pour exemple « Un mari assassiné » affaire décrite dans Le Petit Parisien. Cette affaire, parue dans le journal le 20 mars 1887 nous montre bien que les crimes ne sont pas tous concentrés dans la capitale. Ce crime se déroule plusieurs mois avant d’être évoqué, dans l’Oise et plus particulièrement à proximité de Beauvais. C’est un crime que l’on pourrait qualifier de passionnel, cette affaire semble être similaire à l’histoire de Thérèse Raquin[4]. Un dénommé Louis Lecat est assassiné, les deux accusés sont la femme de ce dernier et l’amant de celle-ci. Lecat est violemment tué par balles dans son sommeil. Il n’y a aucun doute pour la justice, ce sont bien son épouse et l’amant de cette dernière qui l’ont tué. Elle sera alors condamnée à la peine capitale, son amant est condamné à 20 ans de travaux forcés. Ce crime n’est pas original, ce type d’assassinat est présent depuis bien des années, cependant, il est de plus en plus fréquent.
La ville reste tout de même le théâtre de la violence et des crimes. On perçoit une véritable insécurité urbaine et notamment à Paris comme le souligne Vidocq avec son ouvrage Le Paravoleur[5]. Les habitants ont peur d’une menace grandissante. La ville de Paris évolue morphologiquement, elle s’étend constamment, le paysage urbain est plus effrayant car il vaste et est moins visible. Ce qui explique notamment les travaux d'Haussmann. Ainsi en 1830, des lanternes à gaz sont installées pour briser la nuit et éviter les délinquances déjà très présentes.
En 1887, la situation est critique, la violence est omniprésente comme nous avons pu le constater par les divers exemples mentionnés. C’est d’ailleurs ce qu’affirme Jean-Claude Chesnais, démographe français. En effet, il insiste particulièrement sur la poussée de violence à partir des années 1880. Bruno Aubusson de Cavarlay, ingénieur de recherches au CRNS, appuie son propos après avoir calculé le taux des « atteintes physiques à la personne. » Celui-ci a été multiplié par 2,7 entre 1831 et 1912, et la moitié des affaires portées au parquet ne sont pas poursuivies.
Si les priorités de la police restent les crimes et les vols, celle-ci est submergée par de trop nombreuses affaires criminelles. Ainsi, de nombreux crimes et délits ne sont pas rapportés à la police, et pour ceux qui le sont, tous ne sont pas traités. C’est le cas d’ailleurs d’un nouveau-né retrouvé mort, présentant de nombreuses mutilations. Aucune enquête n’est ouverte et la police n’intervient pas comme l’indique Le Petit Parisien le 31 mars 1887.
Pour certains, la police, bien que présente, serait trop laxiste, elle s’avèrerait peu efficace comme en témoigne de nombreuses interventions ratées. La justice elle-même est souvent considérée comme insuffisamment ferme.
1.2- Une violence criminelle accrue qui engendre une peur grandissante
Si les crimes sont très nombreux et fréquents sur une grande partie du territoire français en 1887, ils sont surtout, pour la plupart, d’une extrême violence. Cette violence est de plus en plus forte dans la société en campagne comme en ville, et les crimes du mois de mars témoignent parfaitement de cette violence accrue. En effet, c’est au mois de mars, et plus précisément le 17 mars qu’à lieu l’affaire Pranzini ou « Le Triple assassinat de la Rue Montaigne. » Celle-ci est omniprésente au mois de mars et avril 1887 dans les journaux, c’est une affaire très médiatisée en particulier à cause de la forte violence exprimée dans ce triple meurtre. L’assassin a mutilé, violenté et égorgé les victimes : une véritable « boucherie » en quelque sorte qui choque les habitants de Paris et bien ailleurs. Cette affaire fait peur autant qu’elle fascine. Nous l’expliquerons en détail par la suite afin de mettre en exergue la terrible violence qu’elle renferme. D’autres crimes terribles sont également à mentionner et à détailler pour mettre en avant la violence considérable à Paris. Certains actes atroces sont commis, ils font réellement parti du quotidien des parisiens. Cette démonstration de violence peut se faire à la vue des passants, en pleine journée. Néanmoins, c’est surtout à l’abri de tous les regards que la brutalité des actes fait surface. En effet, lors d’une nuit d’Avril, le cinquième du mois plus précisément, a lieu un meurtre sanglant selon Le Petit Parisien. Il nous explique que c’est dans la rue d’Aubervilliers, à une heure du matin, qu’une personne dont l’identité nous est encore inconnue fait la rencontre d’un Monsieur « D » qui demeure près de la rue de l’Atlas. Lors d’une querelle entre ces deux individus, le premier frappe le second de trois coups de couteau à la tête mais également au bras gauche. Le meurtrier s’échappe en laissant sa victime au sol.
Tous les crimes violents restent différents, certains sont prémédités d’autres ne le sont pas. L’augmentation de la fréquence des crimes ajoute des difficultés supplémentaires à la police qui est alors malmenée. Bien que les effectifs de cette dernière aient augmenté depuis les dernières décennies, elle ne gagne pas pour autant en efficacité. Les policiers ne parviennent pas à éradiquer une telle violence avec les moyens à leur disposition.
1.3- Une police contestée malgré une réelle demande de sécurité
La police et les parisiens sont usés par ces crimes, certains s’y sont même habitués. Cependant une tension règne entre une partie de la population parisienne et la police. Celle-ci est souvent contestée et moquée du fait des difficultés qu’elle connait lors de ses investigations.
La ville de Paris est considérée comme étant une ville criminelle et cela bien avant cet accroissement de la violence. En effet Victor Hugo avait théorisé la « ville criminelle ». Il fait la description de la « cour des miracles » dans Notre Dame de Paris.[6] Il imagine une zone sous le contrôle du roi des voleurs auto-proclamé qui dirige des bandes de malfaiteurs. Elle échappe à la justice et à la police, cette dernière a pour but de démanteler cette cour des miracles. Victor Hugo montre déjà le manque d’efficacité de la police à Paris. Elle ne peut réellement être efficace, elle est véritablement submergée par tous ces comportements déviants.
Certains hommes politiques et certains magistrats même, reprochent le laxisme général des juges, les insuffisances de la police ainsi que la montée en puissance du crime et de la violence, à Paris comme ailleurs. En effet, certains crimes ne sont pas condamnés comme nous pouvons le lire dans Le Petit Parisien, le 1 avril 1887 dans la rubrique « Les Tribunaux ». Cette rubrique concerne en particulier la justice. Nous pouvons ainsi y voir qu’une fille nommée Louise Latil a été acquittée par la Cour d’assises des Basses-Alpes après avoir tué son amant d’un coup de revolver, un dénommé Maurice Rey, dont elle était enceinte. Cet acte nous montre bien le laxisme de la part de la justice notamment à la fin du XIXème siècle. Les habitants souhaitent davantage de protection et de sécurité, ces notions passent d’abord par une véritable justice.
On perçoit également une certaine culture satirique de la part de la population parisienne envers la police. Il y a une volonté de se moquer de l’autorité. Elle va prendre plusieurs formes, à cette époque, certains vont dire que le policier « a les pieds qui sentent mauvais ». En effet, celui-ci marche énormément et son hygiène n’est pas la plus drastique, il y a une stigmatisation de leur odeur qui renvoie à la pauvreté. Le policier est issu de la classe populaire, les habitants ne supportent pas qu’il fasse le « monsieur ». Des chansons satiriques sont aussi élaborées dans le but de dénoncer l’obéissance bête et passive des policiers. Ses abus d’autorité et ses difficultés à résoudre des enquêtes, rendent la police moquable.
Nous percevons des difficultés de la police qui peine à maintenir l’ordre à Paris. C’est pourquoi de nombreuses idées de réformes sont mises en avant afin que la police puisse reprendre le contrôle total de la ville. Ces idées réformatrices sont nombreuses au mois de mars 1887. La police bien qu’ayant renforcé ses effectifs depuis le XVIIIème siècle, elle ne se montre pas assez performante. De plus, ses moyens sont limités, ce qui indigne véritablement de nombreux journalistes comme nous pouvons le voir dans la Gazette des Tribunaux à la fin du mois de mars 1887. Il est question de l’usage du téléphone et du télégraphe par les policiers. En effet, ces derniers pourraient utiliser ces nouvelles technologies à leur avantage pour gagner du temps, un temps très précieux, pour leurs enquêtes et leurs interventions. La police en 1887, n’était pas assez efficace et semblait dépassée voire « archaïque » aux yeux de la population.
Au total, l’augmentation de la fréquence de la violence et de l’organisation de la criminalité combinées à une absence d’évolution symétrique et adéquate des services de police, génèrent un sentiment d’insécurité de plus en plus fort dans la société.
[1] KALIFA Dominique – Crime et culture au XIXème siècle - 2005
[2] FARCY Jean-Claude - La gendarmerie, police judiciaire au XIXème siècle - 2001
[3] DELUERMOZ Quentin, Déviance et société - 2008
[4] ZOLA Emile - Thérèse Raquin - 1867
[5] VIDOCQ François – Le Paravoleur - 1830
[6] HUGO Victor – Notre Dame de Paris - 1831
Sacha Nizet
Bibliographie :
Ouvrages :
- HUGO Victor, Notre Dame de Paris, 1831
- KALIFA Dominique, Crime et culture au XIXème siècle, Paris, Perrin, 2005
- TAIEB Emmanuel, La guillotine au secret, Belin, 2011
- VIDOCQ François, Le Paravoleur, 1830
- ZOLA Emile, Thérèse Raquin, 1867
Articles numérisés :
- DELUERMOZ Quentin. « Quelques échelles de la violence. Les policiers en tenue et l'espace parisien dans la seconde moitié du XIXe siècle », Déviance et Société, vol. vol. 32, no. 1, 2008, p. 75-88.
- FARCY Jean-Claude, « la gendarmerie, police judiciaire au XIXème siècle », Histoire, économie et société, 2001, p 385-403
Journaux :
- La Gazette des Tribunaux
- Le Petit Parisien