Peut-on parler de la faillite du concert européen à la veille de la Première Guerre mondiale ? (1/3)
L'Europe est un vaste continent constitué de nombreux Etats où les enjeux et tensions sont multiples. Elle est le terrain de nombreuses guerres et ne connait pas de véritable paix. C'est au début du XIXème siècle qu'une réelle conscience européenne naît, ce qui permet alors la création d'un système européen favorisant la paix entre les Etats. La première gouvernance européenne qui semble apparaître est le concert européen.
Celui-ci est apparu en 1815 lors du congrès de Vienne, congrès réunissant les grandes puissances européennes : c'est-à-dire la France et les pays vainqueurs de la France de Napoléon I que sont la Prusse, la Grande Bretagne, la Russie et l'Autriche afin d'établir un nouvel ordre pacifiste à l'échelle européenne. Ce nouveau système est légitime et nécessaire, il met fin à plus de 25 années de guerre et redessine alors une nouvelle carte, il instaure des principes de souveraineté et des instances communes reconnues par tous les participants afin d'apporter la paix en Europe. Cette organisation connaîtra certaines difficultés et instabilités puisqu'en 1914 a lieu la grande guerre. Certains parlent de "faillite" du concert européen exprimant alors son effondrement avec le début de la Première Guerre mondiale. La Grande Guerre est un conflit militaire majeur entre les puissances européennes dans un premier temps, et qui s'étend dans le monde entier entre 1914 et 1918. Elle est la marque même de la fin du concert européen qui prônait un "repos de l'Europe".
Il est nécessaire d'analyser l'évolution du concert européen depuis sa création jusqu'à sa destruction, ce qu'il apporte réellement aux Etats européens d'un point de vue politique, économique et social. Il faut également mettre en avant les diverses défaillances et défauts de ce système européen puisqu'il ne parvient pas à éviter la guerre et à conserver la paix en Europe. Il débute dès 1815 par la création du concert européen à l'issu du congrès de Vienne et se termine en 1914 avec le début de la Première Guerre mondiale.
La question qui se pose est la suivante : le concert européen était-il une réelle gouvernance européenne ou était-il un système utopique voué à l’échec ? Nous verrons dans un premier temps la mise en place du système du concert européen malgré les difficultés de 1815 à 1870 ; puis nous mettrons en exergue l’apogée du concert européen entre 1870 et 1890 ; enfin nous évoquerons la faillite et la destruction du concert européen de 1890 à 1914.
1- 1815 à 1870 : Du concert européen à la constitution des nations
1.1- La création du Concert Européen
En 1815, les européens, après avoir vaincu Napoléon Bonaparte, décident du sort de la France. Le 9 juin 1815 se termine le congrès de Vienne, celui-ci vise à rétablir la monarchie et donc la restauration des principes. En effet les pays vainqueurs souhaitent isoler la France, foyer d’idées révolutionnaires, afin que ses idées antimonarchiques n’influent pas sur les populations européennes. Dès lors se forme une certaine gouvernance européenne, les puissances européennes telles que la Grande-Bretagne, la Prusse, la Russie et l’Autriche vont lutter ensemble et s’allier. Elles redessinent une carte de l’Europe simplifiée, on passe alors de 380 Etats en 1789 à une soixantaine en 1815. On constate un agrandissement des territoires des pays vainqueurs de la France mais aussi la création d’Etats tampons comme les Pays-Bas afin de mettre la France sous tutelle. Ce nouveau système européen possède des caractéristiques qui le distingue de l’ordre issu des traités de Westphalie et d’Utrecht, même si fondamentalement, les principes qui l’animent relèvent de la balance of power, c’est-à-dire l’équilibre des puissances.
Pour rétablir la monarchie, les grandes puissances européennes, sous l’impulsion du tsar russe Alexandre I, fondent la Sainte Alliance en septembre 1815 regroupant la Russie, la Prusse et l’Autriche. La Grande-Bretagne rejoint cette alliance en novembre 1815 et la France en 1818 lors du congrès d’Aix-la-Chapelle mais elle possède un rôle mineur par rapport aux autres puissances européennes. Ces Etats européens se veulent défenseurs de la paix et de la justice. Ce sont ces puissances qui forment le concert européen. Les puissances européennes et Metternich, chancelier autrichien, en particulier souhaitent conserver la monarchie afin d’éviter le sentiment national. Celui-ci pourrait fractionner l’empire autrichien mais aussi à plus petite échelle l’Europe. Dans l’ensemble, le principe de l’équilibre est respecté mais celui de la légitimité est progressivement contesté en particulier avec la montée du nationalisme.
1.2- Un nationalisme naissant et progressif en Europe
On constate entre 1816 et 1840 des changements multiformes notamment avec l’influence libérale. Sur le plan social avec des peuples soumis qui expriment de plus en plus leur mécontentement. Ces mouvements incarnent la montée du nationalisme, la France est véritablement la genèse de cette idée. L’Europe semble être divisée puisqu’elle oppose l’Europe réactionnaire constituée des grandes puissances, à l’Europe libérale des minorités. Dès lors le concert européen connait certaines difficultés à maintenir l’équilibre. Sur le plan économique, on perçoit une modernisation industrielle initiée par la Grande-Bretagne avec la conquête de marchés qui accompagnent les préoccupations diplomatiques. Le concert européen parvient peu à peu à développer l’économie en Europe. Enfin sur le plan culturel, le romantisme naît et inspire la liberté et l'éloignement des religions en Europe. Malgré les vagues nationalistes, le concert européen parvient à régler les déséquilibres en Allemagne (1818), Naples (1820), Turin (1821), Espagne (1820-1822) mais aussi dans les régions des Balkans. Tous ces mouvements sont mis en échec par la solidarité monarchique lors de divers congrès (Troppau, Laybach, Vérone). La Grande-Bretagne n’est pas satisfaite des moyens pris par les grandes puissances et reste en retrait. La désunion s’accentue à cause des poussées révolutionnaires dans les années 1830-1832.
On perçoit avec le déroulement des Trois glorieuses en 1830 en France, un renouveau des tentatives de soulèvement dans les autres pays qui sera plus difficile à gérer de la part du concert européen. La Grèce se proclame indépendante en 1829, la Belgique en 1830 et la Pologne en 1831. Le concert européen est en réelle difficulté, l’entente entre les puissances est mauvaise puisque chacun souhaite en réalité servir ses propres intérêts.
1.3- Une modification des rapports de force en Europe
L’Europe de Metternich a ralenti comme elle pouvait les mouvements nationaux sans pour autant les détruire totalement. Dans les années 1830-1840, on perçoit une certaine maturation des mouvements nationaux. Le concert européen parvient pour le moment à maintenir un équilibre mais celui-ci reste fragile. C’est à partir de 1848, lors du printemps des peuples que les mouvements nationaux reviennent en force. Le concert européen dans la période 1840-1860 va jouer sur deux tableaux, sur le vieux continent mais également dans d’autres pays tels que la Chine, l’Amérique Latine et les Etats-Unis. Les grandes puissances européennes souhaitent s’imposer sur le plan international, ce qu’elles vont réussir à faire en colonisant et en obtenant des avantages économiques. Elles connaissent toute de même de réelles difficultés en Europe. On voit bien, par cette envie des puissances européennes de rayonner à l’échelle mondiale que le concert européen qui souhaite un équilibre des puissances est fragilisé. Ainsi, ces puissances vont agir ensemble tout en conservant une certaine compétition. Elles parviennent à maîtriser les mouvements nationaux lors du printemps des peuples de 1848. Les nationalistes tchèques, hongrois, allemands et italiens sont réprimés à cause d’un manque d’organisation de leur part mais gardent espoir pour obtenir leur indépendance. Le concert européen se fragilise malgré son succès sur les mouvements nationaux. L’unification italienne en 1861 et l’unification allemande en 1870, après la guerre franco-prussienne montre bien la mauvaise entente entre les grandes puissances, qui n’ont pas pu réprimer ces mouvements comme ils l’avaient fait auparavant. L’Europe réactionnaire s’affaiblie mais le concert européen persiste.
En effet si le concert européen s’est fragilisé, c’est en particulier à cause des différences économiques depuis les années 1850. La France et la Grande-Bretagne sont davantage des puissances industrielles en voie de libéralisation ; les autres sont essentiellement des empires centraux en retard économiquement. Cela explique les nombreuses tensions et l’inefficacité des puissances européennes lors des règlements de conflits des mouvements nationaux. La guerre de Crimée (1853-1856) illustre parfaitement le dysfonctionnement du concert européen puisque le conflit opposait les russes face à une alliance entre les Ottomans, les Français, les Anglais et le Royaume de Sardaigne. Certains historiens tel que Brison Gooch affirme qu’à ce moment, le concert européen était terminé. Ce qui n’est pourtant pas totalement véridique puisque la volonté de maintenir un équilibre des puissances était toujours présente.
Sacha Nizet
Bibliographie :
Frédéric MANFRIN et Laurent VEYSSIERE, Eté 14 : Les derniers jours de l’ancien monde, 2014
Pierre MILZA, Les relations internationales de 1871 à 1914, 2009
François-Charles MOUGEL et Séverine PACTEAU, Histoire des relations internationales de 1815 à nos jours, 2012
François-Charles MOUGEL, Histoire des relations internationales de la fin du XVIIIe siècle à l’aube du IIIe millénaire, 2017
Pierre RENOUVIN, Histoire des relations internationales de 1871 à 1945, 1994
Stanislas JEANNESSON, « Le Concert européen », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, 2016, mis en ligne le 19/11/2015, consulté le 22/09/2020. Permalien :