Peut-on parler de la faillite du concert européen à la veille de la Première Guerre mondiale ? (2/3)
2- 1870 à 1890 : L’hégémonie européenne et l’apogée du concert européen
2.1- Bismarck, la Realpolitik et la « paix armée »
C’est à partir des années 1870, après l’unification allemande, que le concert européen semble renaitre. Bismarck, chancelier du nouvel empire allemand utilise la « realpolitik ». C’est une stratégie politique fondée, non pas sur des a priori idéologiques ou des jugements de valeur, mais sur l'importance économique ou géopolitique des interlocuteurs. L’empire allemand proclamé en 1871 s’impose sur la scène européenne, il possède la meilleure armée du monde avec pas moins de 500 000 hommes en temps de paix. Après être vaincue lors de la guerre franco-prussienne en 1870, la France perd toute importance, elle est contrainte financièrement et est limitée dans le domaine militaire. Bismarck en prenant l’Alsace-Lorraine craint les représailles de la France c’est pourquoi il va chercher à l’isoler. Il va donc créer l’entente des trois empereurs dès 1872-1873, qui constitue un véritable système d’alliance. Il va nouer des liens avec la Russie et l’Autriche Hongrie, ces trois puissances deviennent alors les acteurs centraux du concert européen et vont connaitre un équilibre remarquable. L’Italie se joint à cette alliance en 1874, ce qui ressemble fortement à la Quadruple alliance. La France cherche à obtenir à nouveau son statut européen et prône le droit d’avoir sa propre politique intérieure et militaire. Finalement la Russie ne soutient pas l’Allemagne sur la question de la France, cette alliance des trois empereurs reste alors fragile.
La crise balkanique de 1875-1878 frappe le concert européen une nouvelle fois, elle débouche sur le congrès de Berlin en juillet 1878 où Bismarck rassemble l’Autriche Hongrie, la Russie et d’autres pays européens. Ce congrès marque la reconnaissance en 1878 de la Serbie, la Bulgarie et la Roumanie. Il accentue le processus de fragmentation politique et débouche sur les guerres balkaniques en 1912 et 1913 puisque les peuples n’ont pas été consultés à propos de la création de nouveaux Etats.
2.2- L’apogée du concert européen
Pour maintenir une stabilité européenne, Bismarck créé la duplice en 1879, traité secret alliant l’Allemagne à l’Autriche en cas d’attaque russe ; parallèlement l’alliance des trois empereurs renouvelée en 1881 est toujours d’actualité et promet à l’Allemagne la non-intervention de la Russie en cas de conflit avec la France.
En 1882, l’Italie signe avec les grandes puissances la Triple Alliance pour s’allier contre la France. La duplice devient alors la Triplice. Cependant ces alliances ne sont pas certaines d’isoler la France comme on le voit avec l’affaire Schnaebele en 1887 qui provoqua une réelle crise politique et une véritable tension franco-allemande. Bismarck ressert le nœud, et signe un traité de réassurance avec la Russie qui oblige les deux puissances à être neutre en cas d’attaque de la France et de l’Autriche. Le succès de cette politique est notable, Bismarck parvient à créer une véritable alliance entre les pays réactionnaires contre la France. Le congrès européen connait alors une stabilité et la paix entre 1870 et 1890.
C’est également à ce moment que le capitalisme et l’impérialisme se développent, en effet, l’activité industrielle prend énormément d’ampleur en Europe et constitue une véritable source de compétition, les Etats cherchent à faire proliférer leur économie et à avoir un poids conséquent économiquement sur la scène européenne et même mondiale. Le concert européen connait alors un développement économique conséquent, celui-ci va être intimement lié à la colonisation comme le souligne Jules Ferry « La politique coloniale est fille de la politique industrielle ». En effet la colonisation est nécessaire pour la diversification des productions industrielles et le réapprovisionnement des matières premières. De plus la colonisation permet à l’Etat de protéger ses acquis, d’obtenir le prestige, très important pour apaiser les tensions internes. Les rivalités coloniales sont présentes dès 1815 mais sont bien plus importantes dès 1880, la France et la Grande Bretagne sont dominantes en matière de colonisation. L’Allemagne et l’Italie n’ayant que peu de colonies se joignent à la « fièvre coloniale ».
2.3- La fin du système bismarckien
En 1890, après s’être partagé le monde et après s’être étendu à la surface du globe, l’Europe est incontestablement le centre de la vie internationale. Le concert européen est à son apogée puisqu’il instaure le développement économique des pays mais aussi parce qu’il offre la paix sur le vieux continent. Bismarck exerce une spectaculaire suprématie par son activité économique, par sa force militaire mais surtout par son réseau d’alliance. En 1890, il se heurte au jeune Empereur Guillaume II, qui lui, souhaite une weltpolitik, une politique plus revendicative, notamment en matière coloniale. Il souhaite faire passer les intérêts de l’Allemagne avant les intérêts européens. Dès lors, le concert européen commence à se détériorer étant donné que sa pièce maitresse était l’Allemagne. Cela marque bien la fin de la période hégémonique de l’Europe.
Sacha Nizet
Bibliographie :
Frédéric MANFRIN et Laurent VEYSSIERE, Eté 14 : Les derniers jours de l’ancien monde, 2014
Pierre MILZA, Les relations internationales de 1871 à 1914, 2009
François-Charles MOUGEL et Séverine PACTEAU, Histoire des relations internationales de 1815 à nos jours, 2012
François-Charles MOUGEL, Histoire des relations internationales de la fin du XVIIIe siècle à l’aube du IIIe millénaire, 2017
Pierre RENOUVIN, Histoire des relations internationales de 1871 à 1945, 1994
Stanislas JEANNESSON, « Le Concert européen », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l'Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, 2016, mis en ligne le 19/11/2015, consulté le 22/09/2020. Permalien : https://ehne.fr/node/97