Churchill dans la chanson paillarde
Non, ce n’est pas Winston Churchill dont il est question dans cet article, même si son caractère et sa place dans l’histoire britannique en font encore aujourd’hui un élément central du folklore britannique. Il s’agit ici de dresser le portrait de son ancêtre John et du fameux « Malbrough s’en va-t-en guerre ».
Aux origines, des victoires et une vie mouvementée
Le titre originel de ce symbole de la chanson populaire est Mort et convoi de l'invincible Malbrough. Outre cet aspect quelque peu morbide, le titre instaure déjà le la déformation orthographique qui donne ses lettres de noblesse à la fameuse chanson populaire en France. Le « Malborough », qui représente un véritable parcours du combattant pour la prononciation d’un français lambda, devient le célèbre « Malbrouk ».
Mais avant tout, qui est « Malbrouk » ? John Churchill est issu d’une famille de la petite noblesse anglaise. Désargenté, il parvient comme son brillant descendant à entamer une carrière militaire au service du Duc James d’York en 1667. Après l’apprentissage des tactiques militaires en Afrique du Nord, le jeune officier a l’excellente idée d’entamer une relation avec l’une des maîtresse du roi Charles II, et est alors envoyé sur des navires lors de la Guerre de Hollande en 1672.
C’est là que commence la carrière et la série de victoires qui permettent au futur duc de Malborough d’entrer dans la légende. Après des distinctions et des promotions dans le conflit franco-néerlandais, il entre au service détaché du maréchal de Turenne jusqu’à la mort de ce dernier en 1675. Brillant commandant au service du trône lors des troubles politiques qui secouent l’Angleterre, il rejoint finalement le nouveau souverain Guillaume d’Orange et gagne ainsi son titre de Comte puis de Duc de Malborough en 1689.
Participant à la rénovation totale d’une armée anglaise quasi obsolète et influençant les décisions royales, John Churchill connaît des périodes de toute puissance mais aussi de disgrâce. Il parvient néanmoins à se maintenir à un certain niveau de commandement et devient le plus farouche adversaire militaire de Louis XIV, contre qui il remporte de nombreuses victoires au cours de la Guerre de Succession d’Espagne.
Mais cette épopée au Pays-Bas, en France, en Irlande et dans les couloirs du pouvoir à Londres s’achève à une suite de congestions cérébrales qui entraîne son décès le 16 juin 1722.
Héros et grand stratège de l’histoire militaire britannique, il ne reste plus qu’à en faire l’objet d’une chanson paillarde en France !
Des champs de batailles aux chants pour enfants
Comme dit précédemment, le « Malbrouk » connu et chanté par des générations de Français apparaît pour faciliter la prononciation du titre de noblesse anglais qui vous a probablement donné du fil à retordre dans votre lecture. Il est alors étonnant qu’une langue telle que l’anglais dont on vante tant la musicalité ne soit pas si aisée à la prononciation. À moins que ce ne soit le fait que les Français parviennent toujours à massacrer les langues étrangères ?
Les auteurs de cette fameuse chanson populaire apparue au XVIIIème siècle sont aussi divers que méconnus, allant de Mme de Sévigné à des compagnies de soldats. De même, les origines de la mélodie et des rythmes sont tout aussi troubles, mais ne manquent pas d’originalité. Des sonorités égyptiennes, des notes similaires à l’Armide de Jean-Baptiste Lully : la version communément admise serait que cette chanson serait un héritage d’un lointain chant croisé vantant les mérités d’un preux chevalier devant les murs d’Acre.
Quoiqu’il en soit, son intégration dans Le Mariage de Figaro en 1781 le rend alors célèbre dans l’Europe entière, malgré l’interdiction dans de nombreux royaumes de la pièce. Ce paradoxe n’empêche pas sa diffusion, comme au Royaume-Uni et au Canada où elle est réinterprétée sous le titre de For He's a Jolly Good Fellow, et même reprise dans La Victoire de Wellington de Beethoven en 1813.
Aujourd’hui, cette chanson parlant entre autres de démembrement par des boulets de canon (« on vit voler son âme ») et de prostitution (« Des blondes et des brunes / Et des châtaignes aussi ») est souvent présentes sur les playlists pour les enfants. Ce chant fait partie du patrimoine culturel français, mais surtout de celui plus qu’oublié des chants populaires (sauf peut-être le limousin pour les fêtes estudiantines…).
L’histoire est riche de sources d’inspiration et de personnages rocambolesques. Toutefois, il n’existe pas que des moyens sérieux pour transmettre un héritage, et les chansons paillardes sont idéales. Il ne faut simplement pas les déconsidérer et surtout, ne pas oublier les paroles !
Pierre Jouin