Baudelaire, Nietzsche et l’idée de décadence



INTRODUCTION

Le lecteur s’étant plongé dans Baudelaire, puis dans Nietzsche, aurait bien du mal à ne pas relever les nombreuses similitudes qui lient les deux auteurs dans l’expression la plus intime de leur pensée. En effet, la lecture du poète français et du philosophe allemand frappe d’une similarité tant partagée par leur contemporanéité sur un plan historique que par les thèmes abordés et enfin, par les idées se proposant de les traiter. Décadence, art, modernité, sens de l’histoire, Wagner, ivresse, valeurs et leur renversement : la proximité des deux auteurs est flagrante.
Cette proximité s’explique, outre les aspects déjà évoqués, par différentes raisons.
Tout d’abord, posons cette remarque simple et pourtant essentielle : le poète français était un penseur prolifique tandis que le philosophe allemand était également poète. En effet, la lecture des Œuvres complètes[1] de Baudelaire offre un véritable panorama de l’éclectisme de l’auteur et de ses intérêts, considérations et pensées ; que celui-ci traite de littérature, d’art, de politique ou de la société. Or, ses pensées, contemporaines de celles de Nietzsche, en partagent aussi la posture.
Cela étant, les fondements d’une telle étude s’établissent dans la connaissance dont a témoigné Nietzsche de Baudelaire. En effet, le philosophe allemand a lu l’auteur des Fleurs du Mal et plus encore, l’a cité à de multiples occasions, jusqu’à finalement devenir une véritable référence dans le vocabulaire du philosophe dès que ce dernier avait en tête de traiter, de près ou de loin, la question de la décadence. Or, Nietzsche n’affirma-t-il pas dans sa préface du Cas Wagner[2] que : « Ma plus grande préoccupation a été, en vérité, le problème de la décadence, - et j’ai eu pour cela mes raisons. « Bien et Mal » n’est qu’une variété de ce problème. Si l’on a aiguisé sa vue pour percevoir les signes distinctifs de la décadence, on comprend du même coup la morale, - on comprend ce qui se cache sous ses noms et ses formules d’évaluation les plus sacrés : la vie appauvrie, la volonté d’en finir, la grande lassitude. » ?
La connaissance de cette préoccupation première pour Nietzsche ne peut qu’engager son lecteur sur une enquête généalogique concernant l’origine de cette notion centrale de la philosophie nietzschéenne. Or, et c’est là que s’enracine définitivement cette étude, Nietzsche fît la découverte de la décadence par l’intermédiaire d’un essai de Paul Bourget consacré à Charles Baudelaire dans son ouvrage Essais de psychologie contemporaine[3] publié en 1883. En effet, si l’on en croit les notes retrouvées à ce sujet dans les Fragments posthumes de Nietzsche, c’est au cours de l’hiver 1883-1884 que le philosophe allemand découvre ce maître de la décadence dont Bourget affirmait que :

« Trois hommes à la fois vivent dans cet homme, unissant leurs sensations pour mieux presser le cœur et en exprimer jusqu’à la dernière goutte la sève rouge et chaude. Ces trois hommes sont bien modernes, et plus modernes est leur réunion. La crise d’une foi religieuse, la vie à Paris et l’esprit scientifique du temps […].[4] »

Concernant les sources dont disposait Nietzsche sur Baudelaire, un exemplaire des Fleurs du Mal préfacé par Théophile Gautier a été retrouvé dans sa bibliothèque personnelle tandis que les Fragments posthumes de l’hiver 1887 attestent d’une lecture rigoureuse des Œuvres posthumes[5] de Baudelaire comportant quelques correspondances, mais aussi et surtout Fusées et Mon cœur mis à nu.

Cette étude n’a pas vocation à faire de Nietzsche un baudelairien, ni de Baudelaire un nietzschéen. D’une part, car cela relèverait d’un fantasme, et de l’autre, car tous deux possèdent de nombreuses différences, qu’il s’agisse de leur pratique de l’écriture ou encore de leurs principes respectifs dont l’opposition la plus ferme est celle du catholicisme-mystique de Baudelaire à l’athéisme le plus rigoriste de Nietzsche. Ainsi, il ne s’agira pas de les fondre l’un l’autre, mais bien de dresser les portraits intellectuels de ces deux figures de proue de la pensée occidentale du XIXème siècle.
Aussi, il sera nécessaire de distinguer, au cours d’une telle entreprise, ce qui relèverait d’une potentielle influence de Baudelaire sur Nietzsche et ce qui appartiendrait à un pur hasard, ou plus précisément à une communauté de pensée issue de leurs existences toutes deux bousculées par de mêmes événements historiques. Je me permets de donner un exemple concret : s’il est quasiment irréfutable que l’idée de « décadence » telle qu’elle fut énoncée par Baudelaire et son intermédiaire – Paul Bourget – eut une importance certaine sur la suite des travaux de Nietzsche, leur rapprochement au sujet d’une commune vision esthétique de l’art ne relève quant à elle que d’une pure hypothèse motivée par l’exercice d’une étude comparative ; la théorie de la création artistique du premier Nietzsche de La Naissance de la Tragédie[6] étant antérieure à sa découverte de Baudelaire.

Ces précisions étant posées, il s’agira de se demander dans quelle mesure Nietzsche profite-t-il de sa découverte de l’idée de décadence par l’intermédiaire de sa lecture de Baudelaire pour finalement mieux se l’approprier et en faire un élément structurant de sa pensée ?

Afin de répondre à cette interrogation, la présente étude proposera un plan en trois parties, partant du général pour se diriger vers le particulier. Ainsi, un premier moment de cette étude s’intéressera à l’idée de « décadence » dans une perspective généalogique partant de Baudelaire pour arriver à Nietzsche en passant par Paul Bourget. Puis, il s’agira d’étudier les principales manifestations de la décadence au sein d’une modernité partagée par le poète français et le philosophe allemand. Enfin, l’analyse tentera de mettre en exergue les points de connexions et de ruptures intellectuelles s’opérant entre Nietzsche et Baudelaire par l’intermédiaire d’une connaissance commune : Richard Wagner.

  

DE BAUDELAIRE A NIETZSCHE: UNE ETUDE GENEALOGIQUE DE L’IDEE DE «DECADENCE»

L’idée de « décadence » chez Baudelaire

Définir l’idée de « décadence »

Pour entrer dans cette étude consacrée à l’idée de « décadence » chez Baudelaire et Nietzsche, sans doute est-il nécessaire d’en définir le terme. La décadence constitue, de manière générale, une déchéance, un acheminement vers la ruine. Cela étant, si acheminement vers la ruine il y a, il est nécessairement présupposé que cet acheminement est issu d’une situation admettant des principes autrefois plus stables et affirmés. Autrement dit, il n’y a de décadence qu’à partir d’un référent. Cette précision est importante car l’idée de « décadence » a souvent été instrumentalisée, tant pour soutenir des idéologies que pour décrédibiliser la légitimité de son étude. En effet, il est nécessaire de ne pas confondre le constat d’une décadence avec le jugement dont il fait l’objet. Ainsi, la décadence du christianisme par exemple – qui sera évoquée au cours de cette étude – ne doit pas être entreprise sous l’égide du jugement, mais du constat. Aussi, c’est bien souvent le jugement des causes et plus encore le jugement de valeur attribué à une décadence qui fait sortir l’idée de décadence de son sens scientifique pour le faire entrer dans le champ de la polémique et de l’idéologique.
Enfin, si la présente étude emploiera à de multiples reprises la formule générique de « l’idée de la décadence », il n’en demeure pas moins que cette idée n’est en réalité pas une mais multiple, relativement aux différentes théories de la décadence, et cela tout particulièrement dans le domaine de la philosophie de l’histoire. En effet, une théorie de la décadence admettant l’existence d’un âge d’or duquel l’humanité serait entrée en chute perpétuelle possède des implications tout à fait différentes d’une théorie ondulatoire ou cyclique de la décadence par exemple admettant, à l’encontre d’une temporalité linéaire, des phases d’ascension et de récession. Ces quelques précisions concernant la notion étudiée étant posées, entrons maintenant au cœur du sujet.

 A l’origine de la réflexion baudelairienne : une décadence du christianisme au profit de la modernité

La décadence est pour Baudelaire avant tout marquée par l’une des formules fondatrices de la modernité – bien qu’il ne l’eut pas connu – à savoir : « Dieu est mort [7]». La célèbre formule nietzschéenne n’est pas la simple revendication d’un athéisme, mais bien le résultat de l’effondrement, de la décadence de plusieurs siècles au cours desquels la culture occidentale fut placée sous la direction des valeurs chrétiennes. Ainsi, Baudelaire considère la société comme décadente relativement à la décadence du christianisme, comme il l’expose dans l’un des textes composant ses Œuvres posthumes, « Fusées » :

« Le monde va finir. La seule raison, pour laquelle il pourrait durer, c’est qu’il existe. Que cette raison est faible, comparée à toutes celles qui annoncent le contraire, particulièrement à celle-ci : Qu’est-ce que le monde a désormais à faire sous le ciel ? Car, en supposant qu’il continuât à exister matériellement, serait-ce une existence digne de ce nom et du Dictionnaire historique ?[8] »

Baudelaire est direct : « le monde va finir ». Néanmoins, pourquoi celui-ci devrait-il finir ? Pourquoi serait-il voué à la finitude lorsque celle-ci ne semble pas indexée sur la fin admise par le christianisme ? Précisément en conséquence du fait évoqué précédemment, c’est-à-dire, la décadence du christianisme. En effet, Baudelaire étant un fervent croyant – bien que sa croyance soit teintée d’une certaine mysticité – ce dernier ne peut concevoir que le monde, débarrassé de sa transcendance divine puisse subsister. Plus précisément, Baudelaire regrette la confusion entre l’ordre matériel et l’ordre spirituel, la modernité acclamant le premier pour expulser le second.

 Les deux pentes contradictoires suivies par l’ordre matériel et l’ordre spirituel

La confusion entre l’ordre matériel et l’ordre spirituel s’inscrit dans un contexte de révolution industrielle. En effet, les modes de production tout autant que les conditions de travail et les conditions matérielles de l’homme sont profondément modifiés, entrainant de fait un bouleversement tout aussi conséquent sur le plan des valeurs et plus généralement sur la façon pour l’homme des grandes villes d’être au monde. C’est à partir de ce développement de l’ordre matériel que s’épuise peu à peu l’ordre spirituel :

« Demandez à tout bon Français qui lit tous les jours son journal dans son estaminet ce qu’il entend par progrès, il répondra que c’est la vapeur, l’électricité et l’éclairage au gaz, miracles inconnus aux Romains, et que ces découvertes témoignent pleinement de notre supériorité sur les anciens ; tant il s’est fait de ténèbres dans ce malheureux cerveau et tant les choses de l’ordre matériel et de l’ordre spirituel s’y sont si bizarrement confondues ! Le pauvre homme est tellement américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels qu’il a perdu la notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel.[9] »

Si l’existence humaine est dans une perspective matérialiste, considérée comme en plein progrès, il n’en demeure pas moins que ce dernier se fait au détriment de l’ordre spirituel. En effet, le progrès de l’ordre matériel n’est pas systématiquement lié au progrès de l’ordre spirituel, si ce n’est, peut-être, dans un sens négatif. En effet, l’homme moderne est pour Baudelaire un jouisseur trouvant dans le confort et la jouissance de la modernité, les raisons d’abandonner la quête d’une quelconque transcendance. Ainsi, l’ordre spirituel s’effaçant progressivement – et cela, selon Baudelaire, depuis la Révolution française – la communauté se désagrège, faisant de l’ordre spirituel un désordre, un vide spirituel. Or, Dieu n’étant plus honoré ici-bas, c’est alors la vie elle-même qui n’a plus de sens :

« Je demande à tout homme qui pense de me montrer ce qui subsiste de la vie[10] »

A la suite de ces quelques considérations sur l’idée de « décadence » chez Baudelaire, il est aisé d’anticiper l’attrait dont témoignera le philosophe allemand pour la notion. Or, comment a eu lieu la réception nietzschéenne des idées baudelairiennes ?

La réception nietzschéenne des idées baudelairiennes

 Nietzsche découvre Baudelaire et l’idée de « décadence » par l’intermédiaire des Essais de Paul Bourget

C’est par l’intermédiaire des Essais de psychologie contemporaine de Paul Bourget que Nietzsche, au cours de l’hiver 1883-1884, découvre Baudelaire, mais aussi et surtout l’idée de décadence qui viendra nourrir ses réflexions sur le nihilisme. Or, la théorie de la décadence proposée pas Bourget n’est finalement pas tant le résultat d’une analyse baudelairienne qu’une émanation de son propre esprit. Finalement, peu importe, car Nietzsche prend note de cette définition et l’assimile au poète français :

« Une société doit être assimilée à un organisme. Comme un organisme, en effet, elle se résout en une fédération d'organismes moindres, qui se résolvent eux-mêmes en une fédération de cellules. L'individu est la cellule sociale. Pour que l'organisme total fonctionne avec énergie, il est nécessaire que les organismes moindres fonctionnent avec énergie, mais avec une énergie subordonnée. Si l'énergie des cellules devient indépendante, les organismes qui composent l’organisme total cessent pareillement de subordonner leur énergie à l’énergie totale, et l'anarchie qui s'établit constitue la décadence de l'ensemble. L'organisme social n'échappe pas à cette loi. Il entre en décadence aussitôt que la vie individuelle s'est exagérée sous l'influence du bien-être acquis et de l'hérédité.[11] »

Ainsi, Paul Bourget développe une conception organiciste de la décadence. Tout d’abord, remarquons que l’admission d’une conception organiciste de la décadence inclut de facto un ordre hiérarchique permettant d’agencer et de subordonner les différentes cellules. En effet, si cet ordre n’est pas respecté, cela conduit nécessairement à ce que l’organisme social « entre en décadence aussitôt que la vie individuelle s’est exagérée sous l’influence du bien-être acquis et de l’hérédité ». Il n’est pas surprenant que Bourget insère sa thèse organiciste de la décadence dans ce chapitre consacré à Baudelaire et il n’est pas moins surprenant que Nietzsche adhère à ses propos. En effet, si pour l’un – Baudelaire – la décadence peut s’expliquer par la Révolution française et l’effacement de l’ordre spirituel, elle peut pour l’autre – Nietzsche – se comprendre par l’effacement des valeurs incarnées par le christianisme et par les terribles enfants qui lui succèdent, les socialistes. C’est là que réside toute la différence. Si pour Baudelaire, la décadence fait l’objet d’un jugement de valeur en tant que le christianisme, représentant de l’ordre spirituel, s’efface ; il s’agit pour Nietzsche de ne considérer que la perte des valeurs représentées par le christianisme – qui remontent par ailleurs à Socrate[12] – sans pour autant juger négativement de cette décadence. Et pour cause, Nietzsche revendique un athéisme des plus rigoriste doublé du désir fervent de renverser les valeurs chrétiennes. En somme, lorsque pour Baudelaire, la décadence est nécessairement considérée négativement, Nietzsche quant à lui peut à certains égards contempler sa possibilité avec admiration. Cela étant, il est essentiel de remarquer que, pour Nietzsche, le christianisme, s’il subit une décadence, en est tout d’abord l’incarnation, car il fut le garant de valeurs allant à l’encontre de la vitalité (ascétisme, chasteté, égalité…).
Ainsi, il sera intéressant de se pencher sur les réactions provoquées par cette décadence chez le poète français et le philosophe allemand.

 Les réactions de Baudelaire et Nietzsche face à la décadence des valeurs chrétiennes

Dans son essai consacré à Baudelaire, Paul Bourget écrit que le poète français « se proclama décadent et il rechercha, on sait avec quel parti de bravade, tout ce qui, dans la vie et dans l’art, paraît morbide et artificiel aux natures plus simples[13]». Or, le goût pour l’artifice est, chez Baudelaire, une recherche de la transcendance perdue. Le monde matériel, privé de Dieu, ne vaut plus rien ; il s’agit donc de s’enivrer et de rechercher dans l’art une nouvelle possibilité de fuir l’ici-bas désenchanté, comme en témoigne le trente-troisième de ses Petits Poèmes en prose, « Enivrez-vous » :

« Il faut être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous
[14]. »

Baudelaire, constatant la décadence de l’ordre spirituel cherche par tous les moyens à le retrouver, quitte à le chercher dans l’artifice et le morbide. En effet, il vaut mieux être ivre et regarder vers le Ciel plutôt que de « sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre » ; autrement dit, l’ivresse est la possibilité de quitter le matériel pour se réengager dans le spirituel, elle est la voie d’accès à Satan ou Bacchus – selon les termes employés par Baudelaire – pour retrouver la trace du divin.

Nietzsche, au contraire, ne recherche aucune transcendance et accueille le déclin du christianisme comme la promesse de faire émerger un nouveau monde débarrassé de la morale des esclaves. Ainsi, Nietzsche prône la déconstruction des valeurs chrétiennes afin de voir émerger, au terme de leur déclin la possibilité d’un nouveau monde collant pleinement au réel, à la terre ferme.

 La Révolution française : un même événement suscitant deux conceptions différentes sur l’avenir du christianisme.

Nietzsche remarque, notamment à travers la présentation des Fleurs du Mal par Théophile Gautier, cette tendance baudelairienne vers l’artifice et le christianisme – termes qui pour le philosophe allemand ne sont pas loin d’être des synonymes – en conséquence de quoi il, s’attaque à Baudelaire en dénonçant la décadence qu’il souhaite poursuivre. En effet, dans ses Fragments posthumes du printemps 1884, Nietzsche écrit :

« Continuation du christianisme par la Révolution française. Le corrupteur est Rousseau : il déchaîne de nouveau la femme qui à partir de là est présentée de façon plus intéressante : en proie à la souffrance. Puis les esclaves et Mrs Stowe. Puis les pauvres et les travailleurs. Puis les vicieux et les malades [...] Puis vient la malédiction jetée sur le plaisir (Baudelaire et Schopenhauer), la conviction la plus arrêtée que le goût de la domination est le plus grand des vices, la certitude absolue que morale et désintéressement sont des concepts identiques, que le « bonheur de tous » est un but digne d’être recherché (c’est-à-dire le royaume céleste du Christ). Nous sommes en bonne voie : le royaume céleste des pauvres d’esprit a commencé[15] »

Ainsi, il est intéressant de remarquer que la continuation du christianisme est considérée de deux manières totalement différentes par Baudelaire et Nietzsche. Lorsque le premier – Baudelaire – soutient que la Révolution française participe d’un effacement de l’ordre spirituel du christianisme, autrement dit, à sa décadence, le second quant à lui – Nietzsche – affirme que la Révolution française n’est que la continuation du christianisme. Ainsi, Nietzsche semble affirmer une sécularisation du christianisme qui, bien que perdant la présence de Dieu, maintient ses valeurs. Sans doute Nietzsche fait-il écho, par l’énumération de la considération révolutionnaire portée aux « esclaves », aux « pauvres », aux « travailleurs » et aux « malades », à la présence du socialisme qui apparaît de concert avec la modernité. Cela étant, Nietzsche accorde une place à Baudelaire dans la continuation du christianisme, l’associant à Schopenhauer au sujet de la « malédiction jetée sur le plaisir ». Et pour cause, Baudelaire en effet, est un contempteur des plaisirs de l’ici-bas tant que ces derniers ne mènent pas à une ivresse permettant l’espoir de trouver une forme de transcendance, comme en témoignent ses injonctions à la chasteté :

« l’amour ne peut être qu’une orgie de roturier ou l’accomplissement d’un devoir conjugal [16] ».

La double conception nietzschéenne de la décadence

« S’il est une chose qui explique […] cette absence de parti pris qui me caractérise en face du problème général de la vie, c’est sans doute cette double origine […] qui fait de moi à la fois un décadent et un commencement.[17] »

Si le sujet a d’ores et déjà été évoqué ça et là dans le début de cette étude, il s’agira de distinguer clairement et d’articuler les deux conceptions de la décadence employées par Nietzsche afin de répondre d’un paradoxe : comment peut-on à la fois lutter contre la décadence et la revendiquer ?

La décadence « passive » : subir la décadence

Par décadence passive, il faut entendre une décadence subie. En effet, la décadence contre laquelle lutte Nietzsche correspond à tout ce qui amoindrit la sensation de vivre, la vitalité. Cela étant, l’écrasement de la volonté et des valeurs propres à l’affirmation de la vie relève d’une décadence subie et à combattre. Ainsi, le christianisme est pour Nietzsche l’incarnation de la décadence passive dans la mesure où ce dernier, au lieu d’affirmer la vie, prône l’ascétisme, la chasteté et la charité, autrement dit, la négation de la vie, une morale des esclaves ayant transvalué les « vrais » valeurs propres à la vitalité, celles des aristocrates, en un système de domination pervers et contre-nature.

La décadence « active » : profiter de la décadence

Par décadence active, il faut entendre la perspective d’une guérison qui, nécessairement, suppose avant tout la maladie. En effet, si la décadence peut initialement être perçue comme une maladie, elle n’est pas moins une maladie profitable pour le malade. Si la maladie mène à une guérison, celle-ci se fait alors possibilité de survivre, ou plus précisément de sur-vivre. Or, survivre à la maladie, à la décadence, est alors la possibilité de sur-vivre par la guérison en ayant la possibilité de créer de nouvelles valeurs. Ainsi, la décadence est considérée comme une décadence des anciennes valeurs au profit de la naissance de nouvelles valeurs.

 

LES PRINCIPALES MANIFESTATIONS DE LA DECADENCE AU SEIN DE LA MODERNITE

L’idée du «progrès», Père et Fils de la décadence

L’abandon de l’eschatologie chrétienne au profit d’un philosophisme de l’histoire

Baudelaire et Nietzsche communiquent une vive critique à l’encontre de l’idée du « progrès ». En effet, le premier affirme qu’« Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l’enfer. – Je veux parler de l’idée du progrès[18] » tandis que le second déclare que « le « progrès » n’est qu’une idée moderne, c’est-à-dire une idée fausse[19] ». Plus encore, le « progrès » semble être à la fois le Père et le Fils de la décadence, c’est-à-dire, celui qui engendre la décadence et qui en est par la même occasion entretenu. En effet, pour Baudelaire, le progrès infini n’est qu’une chimère, un « fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité[20] ». Et pour cause, ce philosophisme sans dieu semble succéder à l’ancienne eschatologie chrétienne en se permettant de poser les dogmes d’une nouvelle destinée, d’une nouvelle eschatologie privée de Dieu et dont le salut est salut du perpétuel lendemain ne demandant aucun effort de la part de l’homme. Ainsi, il est intéressant de constater que la succession d’un philosophisme progressiste prenant place à la suite de l’eschatologie chrétienne se rapproche grandement des considérations nietzschéennes précédemment évoquées au sujet de la Révolution française, à savoir, la thèse de la sécularisation des valeurs chrétiennes au sein de la modernité. L’avènement de la thèse du « progrès » représente alors pour le poète français tout comme pour le philosophe allemand un signe de décadence. En effet, si pour Baudelaire la décadence est perceptible à travers l’abandon de l’eschatologie chrétienne au profit d’un philosophisme sans fondement, Nietzsche quant à lui, déplore que l’ancienne eschatologie chrétienne trouve le moyen de se séculariser pour envahir les nouvelles valeurs d’un fondement métaphysique. Cela étant, plus encore que la faiblesse du philosophisme, Baudelaire et Nietzsche en critiquent ses dangers.

 Les dangers de l’idée du « progrès »

Au-delà de l’aspect purement théorique de l’idée du « progrès » se révèlent des dangers pratiques. En effet, le philosophisme progressiste a selon Baudelaire « déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité[21] ». Ainsi, admettant le dogme selon lequel l’humanité est sur la voie d’une perpétuelle amélioration, l’homme est déchargé de tout devoir, de toute responsabilité, et son existence ne vaut plus rien dans la mesure où il n’a plus à travailler pour faire progresser le monde, mais juste à laisser faire cette nouvelle loi de l’histoire. Tout comme cette étude se proposait de le démontrer précédemment, l’homme moderne confond l’ordre matériel et l’ordre spirituel. Or, tous deux ne vont pas nécessairement de pair : le progrès matériel n'engendre pas automatiquement un progrès spirituel du fait même que ces deux ordres appartiennent à deux mondes bien distincts, celui du naturel pour l’ordre matériel et celui du surnaturel pour l’ordre spirituel. Cela étant, Baudelaire ajoute :

« Je laisse de côté la question de savoir si, délicatisant l’humanité en proportion des jouissances nouvelles qu’il lui apporte, le progrès indéfini ne serait pas sa plus ingénieuse et sa plus cruelle torture ; si, procédant par une opiniâtre négation de lui-même, il ne serait pas un mode de suicide incessamment renouvelé [22] ».

Le progrès est considéré comme un suicide dans la mesure où, déresponsabilisant l’homme de l’avenir de l’humanité, celui-ci sombre dans la jouissance personnelle sans penser aux devoirs qui incombent à sa condition humaine. Cette conception est en partie partagée par Nietzsche dans la mesure où, ce philosophe vitaliste conspue tout ce qui participe d’une réduction de l’être au monde et de la négation de la vie. Cela étant, Baudelaire et Nietzsche proposent comme seul progrès possible, celui de l’individu décidé à progresser en tant qu’individu.

 A l’encontre de l’idée du progrès, une éthique de la responsabilité individuelle

A l’encontre de l’idée progressiste déchargeant l’homme de toute responsabilité quant à son avenir, Baudelaire énonce l’importance capitale du pouvoir de l’individu sur lui-même. En effet, la vie, lorsqu’elle est simple « routine », « ennui », se retrouve par conséquent dévitalisée et c’est pourquoi cette dernière doit s’exercer afin de s’affirmer. Lorsqu’une nation se repose sur les richesses acquises, elle les épuise sans produire. Ainsi, l’idée du « progrès », déresponsabilisant les hommes de leur devoir, entraine les individus sur la pente d’une perte totale de vitalité qui, associée à la « mécanique qui nous aura tellement américanisé [23] » pourrait mener jusqu’une déshumanisation de l’homme devenu pur produit industriel perdu dans une modernité nihiliste[24]. Pour Nietzsche aussi, l’aristocrate est celui qui n’agit qu’en fonction de lui-même et ainsi, qui peut enrailler le processus de décadence par-delà le nihilisme de la modernité :

« Il ne peut y avoir de progrès (vrai, c’est-à-dire moral) que dans l’individu et par l’individu lui-même [25] 

Le nihilisme, une maladie de la modernité

 Le nihilisme actif de Nietzsche

Comme cela fut exposé précédemment, les deux auteurs sont marqués par une forte expérience du nihilisme relativement à son sens nietzschéen, c’est-à-dire, en tant que dévalorisation des valeurs. Ainsi, la valeur dévalorisée par excellence est, pour Baudelaire tout comme pour Nietzsche celle de Dieu. En effet, la célèbre formule « Dieu est mort [26] » ne constitue pas une simple formule athéiste – bien que Nietzsche apprécia certainement le piquant de son expression – mais bien l’effondrement des valeurs qui ont, plusieurs siècles durant, guidé la culture occidentale. En ce sens, le nihilisme, tout comme la décadence, peut être selon Nietzsche passif ou actif. En effet, si le nihilisme, dans sa forme passive la plus poussée confine à l’abandon de la vie et au suicide, sa forme active, quant à elle, devient la possibilité de création d’un nouveau monde. Ainsi, à la suite d’une déconstruction des valeurs traditionnelles, s’ouvre à celui qui a le courage de vivre dans une époque nihiliste, la possibilité de créer de nouvelles valeurs.
Concernant Nietzsche, il envisage le nihilisme dans une dimension active afin de prétendre à la création de nouvelles valeurs qu’il souhaiterait incorporer à l’homme. Ainsi, le philosophe allemand a tout intérêt à vivre pleinement cette période de nihilisme, de déconstruction, afin de bénéficier de toute l’ivresse créatrice d’un nouveau monde, comme il en témoigne dans le §343 du Gai Savoir :

« De fait, nous autres philosophes, « libres esprits », apprenant que « l’ancien Dieu est mort », nous nous sentons illuminés comme par une nouvelle aurore ; notre cœur déborde de gratitude, d’étonnement, de pressentiment et d’attente ; … voilà qu’enfin, même s’il n’est pas clair, l’horizon, de nouveau, semble libre, voilà qu’enfin nos vaisseaux peuvent repartir, et voguer au-devant de tout péril ; toute tentative est repermise au pionnier de la connaissance, la mer, notre mer, de nouveau, nous ouvre toutes ses étendues ; peut-être même n’y en eut-il jamais si « pleine » mer[27] ».

 Le nihilisme passif de Baudelaire

Or, si pour Nietzsche le nihilisme est la possibilité de changer le monde par le changement des valeurs – celui-ci faisant par conséquent preuve d’un nihilisme actif – il n’en va pas de même pour Baudelaire qui, quant à lui, peine à accepter la situation et cherche refuge dans les arrière-mondes. En effet, Baudelaire esthétise la mort, cette mort qui se dévoile comme une fortification de la vie, comme en témoigne le personnage de Fancioulle dans « Une mort héroïque », cet « admirable bouffon » qui, pensant bénéficier de la grâce du Prince lui faisant échapper à sa condamnation à mort, « fut, ce soir-là, une parfaite idéalisation, qu’il était impossible de ne pas supposer vivante, possible, réelle » et chez qui se mêlait « les rayons de l’Art et la gloire du Martyre[28] ». Baudelaire voit en l’art la possibilité de sublimer la vie et le rapport à la mort. Plus encore, si l’art ne permet pas – dans une perspective schopenhauerienne – de supporter la vie, la mort devient alors une délivrance. Dans « Le Tir et le cimetière », Baudelaire se livre à une esthétisation du cimetière, voire, plus encore, invite le lecteur à s’y rendre. En effet, l’herbe est « si haute et si invitante » tandis qu’il règne un « si riche soleil » et qu’il s’agit qui plus est du lieu qui renferme « le seul vrai but de la détestable vie ![29] », à savoir, la mort. Ainsi, le nihilisme baudelairien est un nihilisme passif tandis que le nihilisme nietzschéen est un nihilisme actif. En effet, face à la dévalorisation des valeurs et à la perte de l’ordre spirituel, Baudelaire est tenté de déserter le monde, lui qui n’a que faire des valeurs du lendemain si elles ne sont pas propres à celles d’hier, c’est-à-dire, aux valeurs chrétiennes. Cela étant, Baudelaire procède à une esthétisation de ce même nihilisme par la mise en valeur de la mort et de l’ensemble des éléments généralement opposés à la vie. Ainsi, Baudelaire devient le créateur d’une esthétique nihiliste : il ne lui reste plus que l’art pour retrouver un peu du Beau permettant la réminiscence platonicienne du Phèdre. Cela étant, et malgré son nihilisme passif, Baudelaire semble tout de même se rapprocher de Nietzsche au sujet d’un renversement des valeurs.

Un renversement des valeurs

Qu’il s’agisse de Baudelaire ou de Nietzsche, cette période de décadence et de nihilisme donne lieu pour les deux auteurs à un renversement des valeurs. En effet, si pour Nietzsche, la morale des esclaves héritière du christianisme résulte d’un renversement des valeurs fondamentales de la nature humaine, il faut pour retrouver les valeurs originelles à nouveau les renverser afin de retourner vers des valeurs dites aristocratiques. Cela étant, les valeurs aristocratiques peuvent être entreprises comme une loi des meilleurs, une loi des plus forts, dans la mesure où les aristocrates nietzschéens représentent « la caste des barbares », que ces derniers déploient leur force physique ou spirituelle. Si Nietzsche conçoit dans sa Généalogie de la morale[30] trois types d’êtres aristocratiques que sont le guerrier, le prêtre et l’artiste en tant que créateur, il est tout à fait frappant de recroiser ces trois sortes d’individus chez Baudelaire et d’autant plus dans un aphorisme que l’on pourrait très bien croire tout droit sorti d’un livre de Nietzsche :

« Il n’existe que trois êtres respectables :
Le prêtre, le guerrier, le poète. Savoir, tuer et créer.
Les autres hommes sont taillables et corvéables, faits pour l’écurie, c’est-à-dire pour exercer ce qu’on appelle des professions.
[31] »

Le renversement des valeurs fait l’objet de plusieurs des Petits Poèmes en prose de Baudelaire, comme dans « Assommons les pauvres ». En effet, le poète, alors qu’un mendiant le sollicite, ne se laisse pas aller à un comportement dit « bon » et surtout « moral » qui consisterait à faire preuve d’une charité aveugle. En effet, contre toute attente, le poète lui saute dessus et entame une rixe sans merci avec le vieillard qui trouve finalement la force de se défendre, en conséquence de quoi le poète se félicite de son geste : « Par mon énergique médication, je lui avais donc rendu l’orgueil et la vie[32] ». Ainsi, Baudelaire rend au mendiant, par une transvaluation des valeurs sa vitalité et lui enseigne cette contre-morale du plus fort. Le mendiant ne doit pas mendier à genoux, mais frapper debout.

Cela étant, ces considérations au sujet du renversement des valeurs auraient beaucoup à gagner en étant mises en relation avec les positions politiques du poète français et du philosophe allemand qui, tous deux, sont des contempteurs des idéaux socialistes et révolutionnaires. En effet, si Nietzsche ne cesse de répudier le socialisme en allant jusqu’à affirmer qu’il travaille « à l’anéantissement formel de l’individu[33] », Baudelaire, quant à lui déclare que : « De Maistre et Edgar Poe m’ont appris à raisonner[34] ».

 

UN REGARD NIETZSCHEEN : WAGNER ET BAUDELAIRE, INCARNATIONS DE LA DECADENCE DES DEUX CÔTES DU RHIN


La découverte de Wagner par Baudelaire et Nietzsche

La découverte de Wagner par Nietzsche

Nietzsche rend pour la première fois visite à Wagner en 1869 avant de rompre progressivement ses liens avec le compositeur à partir de son départ pour Bayreuth en 1872. Si la période de Tribschen offrit à Nietzsche des souvenirs inoubliables sur le plan amical, il n’en demeure pas moins qu’au-delà de cette amitié s’ajoutait également une fraternité spirituelle. A ce sujet, Nietzsche déclare dans une lettre à Malwida von Meysenbug écrite quelques jours après la mort de Wagner que : « Ce fut dur, très dur, de devoir être pendant six ans l’ennemi de quelqu’un que l’on a vénéré et aimé comme j’ai aimé Wagner[35] ». En effet, Nietzsche a admiré Wagner au point de le considérer comme « la plus évidente incarnation de ce que Schopenhauer appelle un génie[36] » et de lui dédier sa Naissance de la tragédie :

« J’affirme, moi, que je tiens l’art pour la tâche suprême et l’activité proprement métaphysique de cette vie, au sens où l’entend l’homme à qui j’ai voulu dédier ce livre, comme au lutteur sublime qui m’a précédé dans cette voie[37] ».

Cela étant, si Nietzsche affirme avec une telle ferveur sa fraternité de pensée avec Wagner, il ne tardera pas à quitter le giron de la pensée wagnérienne héritière de Schopenhauer en critiquant la métaphysique du génie et la morale de la rédemption qui sont toutes deux, selon le philosophe allemand, beaucoup trop chrétiennes.

La découverte de Wagner par Baudelaire

Baudelaire quant à lui restera à jamais sous le charme de Wagner, allant jusqu’à confier au compositeur allemand : « Je vous dois la plus grande jouissance musicale que j’aie jamais éprouvée[38]. » En effet, Baudelaire consacra en 1861 un essai à Wagner – « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris » – et écrivit une lettre au compositeur le 17 février 1860 afin de lui témoigner son admiration. Il ne fait aucun doute que Baudelaire reconnu en Wagner la possibilité d’une nouvelle transcendance. En effet, le poète écrit dans son essai sur Tannhäuser : « J’avais subi (du moins cela m’apparaissait ainsi) une opération spirituelle, une révélation[39] », tandis qu’il ajoute dans sa lettre à Wagner à propos de sa musique : « Ce qui m’a principalement frappé, ç’a été la grandeur. Cela représente le grand, et cela pousse au grand [40]» avant de conclure : « vous m’avez rappelé à moi-même et au grand, dans de mauvaises heures [41]». Ainsi, Baudelaire trouve en Wagner une recherche de la transcendance, une nouvelle possibilité d’accéder au divin. En Wagner, Baudelaire voit émerger la possibilité des retrouvailles avec le chemin de la transcendance par l’intermédiaire d’une musique qui « pousse au grand », c’est-à-dire, au divin.

Une esthétique de l’ivresse ou la communion des trois auteurs

Nietzsche se révolte contre Wagner, certes. Néanmoins, il continuera d’affirmer la thèse héritière de son admiration pour Wagner, à savoir, l’ivresse comme condition de création de l’artiste. En effet, c’est dans La Naissance de la tragédie[42] que Nietzsche affirme l’essence de l’art comme une dualité, une bataille livrée entre l’esprit apollinien et l’esprit dionysiaque, ces deux pulsions dont l’une représente le chaos et l’autre l’ordre, et dont résulte de l’affrontement l’essence de la création artistique.

Ainsi le poème en prose « Enivrez-vous » semble adopter une vision dionysiaque nietzschéenne dans un registre décadent car artificiel et faisant preuve d’une vitalité préférant l’ailleurs que l’ici ; autrement dit, cette lutte baudelairienne confine au résultat des arrière-mondes et non du monde physique et réel.

Baudelaire lui-même, bien que n’ayant pas lu le philosophe allemand, possède une conception tout à fait similaire à celle de Nietzsche au sujet de la création. De la dualité Apollon-Dionysos instaurée par Nietzsche, Baudelaire invoque la dualité Dieu-Satan ; ce qui se comprend aisément en conséquence de la croyance religieuse de Baudelaire n’étant pas partagée par Nietzsche. Autrement dit, les instincts nietzschéens – Apollon et Dionysos – sont chez Baudelaire des divinités, Dieu et Satan :

« Il y a dans tout homme, à toute heure, deux postulations simultanées, l’une vers Dieu, l’autre vers Satan. L’invocation à Dieu, ou spiritualité, est un désir de monter en grade ; celle de Satan, ou animalité, est une joie de descendre. C’est à cette dernière que doivent être rapportés les amours pour les femmes et les conversations intimes avec les animaux, chiens, chats, etc.
Les joies qui dérivent de ces deux amours sont adaptées à la nature de ces deux amours
.[43] »

Cette figure de l’ivresse et d’une conception dualiste de la création est donc partagée, mais plus encore, elle est utilisée par les deux auteurs pour évoquer la musique de Wagner :

« Tannhäuser représente la lutte des deux principes qui ont choisi le cœur humain pour principal champ de bataille, c’est-à-dire de la chair avec l’esprit, de l’enfer avec le ciel, de Satan avec Dieu[44]. »

Nietzsche reprend quant à lui une formule baudelairienne afin de faire de Wagner l’une de ses ivresses :

« Quand on veut se délivrer d'une insupportable pression, on a besoin de haschisch. Eh bien, moi, j'avais besoin de Wagner. Wagner est par excellence l'antidote de tout ce qui est allemand, — mais aussi un poison, je n'en disconviens pas.[45] »

La critique de Nietzsche contre les décadents chrétiens : décadence active contre décadence passive

La critique d’un refuge vers les arrière-mondes

Nietzsche reproche à Baudelaire et à Wagner leur fuite vers les arrière-mondes. Les décadents chrétiens tels que Baudelaire et Wagner, ne pouvant supporter la modernité, viennent finalement l’affirmer par la désertion du réel au profit d’un refuge vers les arrière-mondes dans lesquels ils recherchent vainement la possibilité d’une nouvelle transcendance. Dès lors, c’est là que s’opère la scission avec d’un côté Nietzsche et de l’autre Wagner et Baudelaire. En effet, le premier est un athée cherchant l’expansion de la vie dans le réel lorsque les deux autres sont chrétiens et recherchent la vie dans un arrière-monde. Autrement dit, Nietzsche oppose à leur décadentisme passif, un décadentisme actif. Or, plus que tout, Nietzsche critique l’injonction morale que ces décadents chrétiens ne cessent de répéter au nom des anciennes valeurs, comme en témoignent par exemple le poète français et le compositeur allemand au sujet de la chasteté.

 La critique nietzschéenne de la chasteté : art et sexualité

Nietzsche critique le décadentisme de Wagner et de Baudelaire en ce qui concerne leur christianisme. En effet, le philosophe allemand trouve dans le compositeur et le poète des figures de la décadence, et cela tout particulièrement dans l’expression d’un art érotico-chrétien considéré sous l’angle du péché originel. Et pour cause, Baudelaire affirme une sorte de dichotomie entre la sexualité et l’art :

« Plus l’homme cultive les arts, moins il bande.
Il se fait un divorce de plus en plus sensible entre l’esprit et la brute.
La brute seule bande bien, et la fouterie est le lyrisme du peuple
.[46] »

De plus, l’érotisme morbide utilisé à la fois par Baudelaire et Wagner témoigne pour Nietzsche de cette obsession chrétienne du péché originel. En effet, Nietzsche affirme par exemple à l’encontre du Parsifal de Wagner que : « Tout cela est trop chrétien, pas assez de chair, et trop, beaucoup trop de sang[47] ». En effet, Parsifal semble être le miroir opposé de la pensée nietzschéenne, l’œuvre wagnérienne étant pleine de christianisme, de nihilisme et d’ascétisme.

Nietzsche, au contraire, unie l’excitation sexuelle à l’excitation artistique. Ainsi, pas d’ascétisme, mais la pleine vitalité comme condition de l’art, la jouissance active permettant l’accroissement de la puissance créative : 

« II faut d'abord que l'excitabilité de toute la machine ait été rendue plus intense par l'ivresse. Toutes sortes d'ivresses, quelle qu'en soit l'origine, ont ce pouvoir, mais surtout l'ivresse de l'excitation sexuelle. Ensuite l'ivresse qu'entraînent toutes les grandes convoitises, toutes les émotions fortes. L'ivresse de la fête, de la joute, de la prouesse, de la victoire, de toute extrême agitation : l'ivresse de la cruauté, l'ivresse de la destruction ; l'ivresse produite par certaines conditions météorologiques, par exemple l'ivresse du printemps ; ou sous l'influence des stupéfiants ; enfin l'ivresse de la volonté, l'ivresse d'une volonté longtemps retenue et prête à éclater [48] ».

 

CONCLUSION

Pour conclure, il est intéressant de remarquer que l’idée de décadence, de Baudelaire à Nietzsche constitue un véritable fil rouge permettant de brosser un portrait généalogique de la philosophie nietzschéenne. En effet, l’idée de décadence pénètre l’ensemble de son œuvre et c’est en quelque sorte, un peu de Baudelaire qui coule dans l’écriture de Nietzsche. Ainsi, la question de la décadence occupe une place tout à fait fondamentale au sein d’une modernité placée sous le patronat du nihilisme.

Si Nietzsche espère trouver dans et par le nihilisme, la possibilité d’un changement de paradigme, Baudelaire quant à lui, explore le phénomène afin de le peindre et de le sublimer, sans toutefois avoir la prétention ou la volonté de construire de nouvelles valeurs, mais avec la ferme intention de construire au présent, cette nouvelle esthétique de la modernité.

Enfin, Baudelaire et Nietzsche possèdent une autre caractéristique commune qu’il est sans doute nécessaire d’avoir en tête afin de cerner leurs idées : une commune vision héraclitéenne d’un monde dans lequel polemos est le père de toutes choses. En effet, les deux auteurs procèdent perpétuellement d’un affrontement entre des puissances contradictoires, d’une lutte incessante et pourtant nécessaire dans l’exercice de la vitalité. Dieu et Satan d’un côté, Apollon et Dionysos de l’autre, c’est par la guerre qu’émerge la création artistique, et c’est par la paix que survient l’épuisement des forces créatrices. Ainsi, la décadence n’est pas uniquement déchéance des forces vitales, mais possibilité de régénération de ces dernières par une lutte des contraires livrée au profit de l’ailleurs – pour Baudelaire – ou de l’ici-bas – pour Nietzsche.

 

 

OUVERTURE SUR LA LITTERATURE, LA PHILOSOPHIE ET LES ARTS

Nombreuses sont les études critiques interprétant la littérature à la lumière des philosophies qui s’y dissimulent. Et pour cause, les écrivains, ces éclectiques en quête de matière à sublimer, se sont souvent nourris de la philosophie qui, par un effort de l’entendement a su interroger davantage les traces de ce qui relevait jusqu’alors d’un pressentiment pour l’auteur.

Plus rares sont les études consacrées à l’influence exercée par les écrivains sur les philosophes. Et pourtant, les exemples ne manquent pas. Peut-être Nietzsche est-il un parfait exemple de cette philosophie alimentée par la littérature. Qu’il s’agisse de Dostoïevski, de Stendhal ou de Baudelaire – pour ne citer qu’eux – Nietzsche a baptisé sa pensée dans la littérature ; ce qui n’a rien de surprenant pour cet esprit libre d’un nouveau genre qui, comme il l’affirmait lui-même, souhaitait philosopher en artiste en affirmant l’art comme une valeur supérieure à la vérité.

Finalement, n’était-ce pas là le projet baudelairien ? L’art a eu, a et aura encore toujours quelque chose à nous dire de ce monde. Quoi ? Comme Baudelaire lui-même l’affirme, une part d’éphémère et une part d’éternel. La recherche de l’éphémère constitue sans doute la première mission de l’artiste. Le Beau aura toujours sa place en ce monde et il revient à l’artiste d’exercer son regard carnivore pour en déceler sa nouvelle incarnation ; quitte à embrasser le morbide en dépiautant la charogne par les sens, car l’art étonne par essence : le beau est toujours bizarre.

 Dépeceur de la modernité, Baudelaire fit de sa recherche du beau, une profession de foi, et de sa poésie, un culte. Et pour cause, l’artiste, le fidèle vivant pour et par l’art, atteste par sa recherche d’une espérance active ; autrement dit, l’art est une épreuve de foi. Baudelaire poursuit les signes, cherche à en déchiffrer les codes et part en pèlerinage sur les traces laissées par le passage de l’éternel dans l’éphémère qui l’a accueilli.

La part d’éternel quant à elle, appartient au registre de la révélation métaphysique et renferme le tragique de l’existence : l’artiste ne peut la saisir, pas même la dire. Néanmoins, il a la capacité d’en invoquer la présence par le geste créateur, par la mise au monde de l’éphémère.

Ésaïe 6:9,10 : « Il dit alors: Va, et dis à ce peuple: Vous entendrez, et vous ne comprendrez point; Vous verrez, et vous ne saisirez point.… »

Cette mise au monde opérée par Baudelaire consiste à faire voir ce qui relève de l’insaisissable. C’est pourquoi l’artiste est un pèlerin qui, parcourant le monde, offre sur l’autel sacrificiel de l’Art, les traces qu’il a su remarquer par l’exercice de sa foi.

Le voyage en ce monde n’est pour Baudelaire aucunement voué à une destination mais au cheminement. Ainsi, la vie de l’artiste est un pèlerinage lui permettant de témoigner son effort par le moyen d’une imagination se régénérant au gré des éléments à sublimer, le tout participant d’une quête métaphysique.


[1] Charles Baudelaire, Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004.

[2] Friedrich Nietzsche, Le Cas Wagner. Crépuscule des idoles, GF Flammarion, Paris, 2005.

[3] Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine, Plon, Paris, 1901.

[4] Ibid, p.7.

[5] Charles Baudelaire, Œuvres posthumes et correspondances inédites, Quantin, Paris, 1887.

[6] Friedrich Nietzsche, La Naissance de la tragédie, in Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000.

[7] Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, Gallimard, Paris, 1978, p.170.

[8] Charles Baudelaire, « Fusées », in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.399.

[9] Charles Baudelaire, « Exposition universelle 1855 », in Œuvres complètes, Paris, Robert Laffont, 1980, p.725.

[10] Charles Baudelaire, « Fusées », in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.399.

[11] Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine, Plon, Paris, 1901, p.19.

[12] Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles, Gallimard, Paris, 2015, pp. 19-25.

[13] Paul Bourget, Essais de psychologie contemporaine, Plon, Paris, 1901, p.23.

[14] Charles Baudelaire, Petits Poèmes en prose, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.197.

[15] Friedrich Nietzsche, cité par Jacques le Rider, in « Nietzsche et Baudelaire », in Littérature, n°86, 1992, Littérature et philosophie, p. 86

[16] Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.806.

[17] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist. Suivi de Ecce Homo, Gallimard, 2014, p.99

[18] Charles Baudelaire, Exposition universelle 1855, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.725.

[19] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist. Suivi de Ecce Homo, Gallimard, Paris, 2014, p.16.

[20] Charles Baudelaire, Exposition universelle 1855, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.725.

[21] Ibid.

[22] Ibid.

[23] Ibid.

[24] A ce sujet, il est intéressant de consulter l’ouvrage que Walter Benjamin a consacré au poète français. Walter Benjamin, Charles Baudelaire, Payot & Rivages, Paris, 2021.

[25] Charles Baudelaire, Exposition universelle 1855, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.725.

[26] Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, Gallimard, Paris, 1978, p.170.

[27] Friedrich Nietzsche, Le Gai Savoir, Gallimard, Paris, 1978, p.286.

[28] Charles Baudelaire, Petits Poèmes en prose, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.185-186.

[29] Ibid, p.205.

[30] Friedrich Nietzsche, La Généalogie de la morale, Paris, Gallimard, 2011.

[31] Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.410.

[32] Charles Baudelaire, Petits Poèmes en prose, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.210.

[33] Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain, in Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol.5, Société du Mercure de France, Paris, 1906, p.403.

[34] Charles Baudelaire, Hygiène, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.401.

[35] Friedrich Nietzsche, Lettre à Malwida von Meysenbug du 21 février 1883, citée Dorian Astor dans le Dictionnaire Nietzsche, Paris, Robert Laffont, 2017, p.956.

[36] Friedrich Nietzsche, Lettre à Rohde du 9 décembre 1868, ibid, p.951.

[37] Friedrich Nietzsche, La Naissance de la tragédie, in Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000, p.16.

[38] Charles Baudelaire, Lettre à Richard Wagner du vendredi 17 février 1860, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.921.

[39] Charles Baudelaire, Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.853.

[40] Charles Baudelaire, Lettre à Richard Wagner du vendredi 17 février 1860, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.921.

[41] Ibid, p.922.

[42] Friedrich Nietzsche, La Naissance de la tragédie, in Œuvres, t. I, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000.

[43] Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.409.

[44] Charles Baudelaire, Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.853.

[45] Friedrich Nietzsche, L’Antéchrist. Suivi de Ecce Homo, Gallimard, 2014, p.122.

[46] Charles Baudelaire, Mon cœur mis à nu, in Œuvres complètes, Robert Laffont, Paris, 2004, p.421.

[47] Friedrich Nietzsche, Lettre à Reinhardt von Seydlitz, 4 janvier 1878, citée Dorian Astor dans le Dictionnaire Nietzsche, Paris, Robert Laffont, 2017, p.955.

[48] Friedrich Nietzsche, Crépuscule des idoles, Gallimard, Paris, 2015, p.62.

Yoann STIMPFLING


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·       Sur les résonances entre la pensée de Baudelaire et celle de Nietzsche

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