Petite anthropologie du “patriarcat”


 
Auteur : Matthias KabelLigne de crédit : Wikipédia

Auteur : Matthias Kabel

Ligne de crédit : Wikipédia


 Le « patriarcat », qui rappelons-le est sociologiquement défini par Pierre Bonte et Michel Izard comme « une forme d’organisation sociale et juridique fondée sur la détention de l’autorité par les hommes », suscite de fougueux débats. Réseaux sociaux, journaux, manifestations, discussions entre collègues ou camarades, musique… vous avez sans doute déjà tous entendu parler de ce concept, peut-être vous êtes-vous même exprimé à ce sujet, voire engagés activement en sa faveur ou défaveur.

Or, peut-on expliquer l’origne du patriarcat/viriarcat? C’est du moins ce à quoi se livre le Deuxième sexe de Beauvoir avec son interprétation de L’Origine des familles de Engels.

C’est pourquoi nous tenterons de vous exposer une théorie probable du fond de cette pensée (qu’il serait par ailleurs plus juste étymologiquement de nommer “viriarcat”) dénonçant une domination masculine sur la société à travers une approche économique de l’étude du Deuxième sexe de Beauvoir et de son interprétation de L’Origine des familles d’Engels.

Selon Adam Smith, dans La Richesse des nations, l’âge de pierre serait relatif à une division du travail dans les différentes tribus : certains acteurs fabriquant les outils, d’autres les utilisant. Le savoir-faire est entrepris à travers la production initiale d’outils à visée utilitaire, outils eux-mêmes ayant une valeur marchande en tant qu’il sont objets de trocs dans et entre les tribus. Sans doute vous demandez-vous le rapport d’une introduction d’Adam Smith avec le concept de patriarcat. La suite de notre article devrait alors satisfaire vos interrogations.


De l'état primitif...

Dans l'état primitif, la femme possède tout comme l'homme un rôle économique. En effet, dans une sorte de division des tâches primitives, les deux acteurs se complètent, le caractère rudimentaire des outils alors disponibles dans le travail agricole ne mettant pas en exergue la différence de force physique relative à la structure physiologique de la femme et de l'homme. Ainsi peut s'accomplir une certaine égalité d'accès à des capacités économiques. C’est du moins ce que soutient Engels et son Origine de la famille, l'histoire de la femme étant sensiblement liée à celle des techniques. Expliquons-nous. A l'état le plus primitif, la terre est commune à tous les membres du clan : n'admettant pas de propriété privée, incluant femmes et hommes dans un travail commun de par le caractère rudimentaire des outils utilisés, la situation mène de fait à une division primitive du travail entre les hommes et les femmes, division fondée en prenant en compte les facultés et dispositions de chaque individu, et par conséquent prenant en compte la différence physiologique existante entre la femme et l’homme. Ainsi, lorsque l'homme s'occupe de la chasse et de la pêche, la femme reste au foyer en engendrant un travail productif par la fabrication de poteries, tissages et s'adonnant au jardinage, faisant ainsi preuve d'un grand rôle économique. L'activité domestique de la femme est engagée dans le processus de production mais est également économiquement valorisée, en tant que ces mêmes productions feront l'office d'échanges de marchandises. Toutefois, il nous faut remarquer que si la volonté première n’était que pure prise en compte des différences physiologiques de chacun dans la vocation à se compléter, en résulte une prémisse fondamentale de perception que nous avons des deux sexes. En effet, la femme reste majoritairement exercer ses activités au foyer tandis que l'homme s'en va à l'extérieur afin de ramener le fruit de ses activités. Ainsi, me poserez-vous la question suivante : « Quelles sont donc ces distinctions physiologiques par lesquelles nous baratines-tu de la légitimité de la femme au foyer dans les sociétés primitives ?! ». Ce confinement au foyer pourrait selon une vision des plus simplistes s’expliquer par la différence de force physique nécessaire à des activités telles que la chasse certes, toutefois nous prendrons nos distances quant à cette conception. En effet, les progrès des analyses d’ADN osseux nous démontrent le caractère incontestable de l’existence de femmes chasseuses. A vrai dire, cela nous arrange bien, car nous soutiendrons la thèse selon laquelle ce n’est pas initialement une différence de force qui explique cette division primitive du travail, mais plus précisément une différence de contraintes physiologiques propres à la femme. Dès lors, la femme est-elle naturellement asservie aux contraintes naturelles de la reproduction englobant ainsi la grossesse, l’accouchement ou encore les menstruations. C’est de la prise en compte de ces contraintes naturelles que s’effectue alors majoritairement la division du travail homme-femme dans les sociétés primitives. Dans la reconnaissance de l’asservissement originel des femmes à leurs contraintes naturelles, les hommes s’engageraient à la protection de ces dernières. Nous pourrions nous arrêter là… C’est mal nous connaître ! En effet, cette protection résulte sans doute d’un autre élément, faisant ici preuve de bien moins de rationalité. Au-delà d’une simple protection, les hommes des sociétés primitives s’emploient à une véritable dévotion à l’égard des femmes, car, bien que conscients de l’utilité de l’acte sexuel et des techniques de culture du sol, la générosité des enfants et des moissons restent en liens étroits avec le supposé mysticisme des femmes à les engendrer par, selon les mots de Beauvoir, ces « mystérieux effluves émanant du corps féminin qui attirent en ce monde les richesses enfouies aux sources mystérieuses de la vie ».

Cela vous paraît-il insensé ? Je vous invite à vous renseigner sur les travaux de Marija Gimbutas, archéologue et préhistorienne américaine d’origine lituanienne, ou à visionner les photographies de la Vénus de Willendorf (qui illustrent mon article) afin d’avoir un aperçu de l’abondance des représentations artistiques de corps de femmes sous la forme des Vénus paléolithiques.


A la technique comme avènement de l'Homo-Faber...

La « révolution néolithique » (d'après l'expression de Vere Gordon Childe) marque le passage d'une « économie de prédation » à une « économie de production », cette même économie de production permise par le progrès technique et instaurant la sédentarisation est à l'origine des premiers villages puis des villes, développant par la technique la capacité productive à nourrir la population, et libérant de fait les autres activités économiques comme l'artisanat. Ainsi, la révolution néolithique est à l'origine des sociétés et du vivre ensemble à long terme dans la sédentarisation, prémisse de la spécialisation du travail et des activités au sein de la société ainsi que de distinctions hiérarchiques marquées. Le développement technique améliore la productivité des machines et favorise un travail intensif de la terre. Or, ces mêmes machines nécessitent plus de force physique, ce qui par conséquent creuse les inégalités d'accès au travail pour les femmes. En poursuivant l'analyse d'Engels dans L'Origine des familles, nous pouvons constater que si le caractère rudimentaire des machines à l'état primitif donnait aux hommes et femmes une certaine complémentarité et égalité dans le travail, la technique à peine développée, la faiblesse physique de la femme devient une infériorité flagrante en tant que selon Beauvoir « l'instrument réclame une force légèrement supérieure à celle dont la femme dispose », menant de fait à ce que celle-ci paraisse « radicalement impuissante ». Ainsi, à la découverte du cuivre, de bronze, de l'étain ou encore du fer menant par exemple à l'apparition de la charrue, l'humain change de paradigme par la technique. De fait, c'est tout un système productif et la place de ses acteurs qui changent. En effet, la machine donne la possibilité de démultiplier l'étendue du travail agricole encourageant un travail intensif de la terre pour défricher les forêts ou encore faire fructifier les champs. Ainsi, la femme semble à l'homme comme nous l'avons préalablement précisé, « impuissante », entraînant alors la marginalisation des femmes de ce travail pour la confiner aux seuls travaux domestiques, assurant cette fois la prépondérance de l'homme. Le progrès technique donne alors aux hommes la confiance en leur capacité productive indépendamment des considérations mystiques autrefois adonnées à la femme. Ainsi selon Beauvoir, « la technique » l'a emporté « sur la magie et la raison sur la superstition ». Si la femme était précédemment considérée comme en rapport avec la Nature et le divin, l'homme s'émancipe peu à peu du pouvoir de la Nature en la soumettant à ses besoins, s'incarnant en tant que transcendance qui s'arrache des contraintes de la Nature qu'il croyait toute puissante et de sa précédente incarnation qu'il pensait femme, et de fait, s'émancipe de la femme conviée à l'immanence qu'il tendra à soumettre par la même occasion en tant que propriété, passant de la divinisation de la femme à l'homo-faber par la dévaluation de la femme, l'excluant du mitsein humain et du « rôle économique qu'elle jouait dans la tribu ».



Vers l'homme créateur et possesseur.

Le travail de la femme est mis en difficulté devant les exigences physiques de la machine, l'homme acquiert de plus en plus larges terrains et se constitue la propriété privée basée sur le patriarcat. Ainsi, la femme devient, par son incapacité à générer les biens économiques soumis à la demande, elle-même soumise à l'homme en tant que propriété de l'homme. En effet, celle-ci étant initialement preuve de mystère enjoignant la crainte et le respect de l'homme, elle n'est alors pas reconnue comme semblable de l'homme mais comme autre. L'homme émancipé de la superstition, il élargit sa domination de la nature et advient la propriété privée. Simone de Beauvoir soulève alors un problème fondamental dans l'analyse d'Engels. En effet, Engels affirme à cette période le passage du régime communautaire à la propriété privée, or, il affirme lui-même ne pas savoir « comment il a pu s'effectuer ». L'homme-créateur est alors aussi nécessaire que la femme procréatrice, et sujet de transcendance lorsque la femme reste uniquement dans l'immanence de sa fonction biologique procréatrice. Or, selon Beauvoir « engendrer, allaiter ne sont pas des activités, ce sont des fonctions naturelles », et c'est bien de cet asservissement des femmes aux hommes en tant que ses fonctions naturelles sont considérées comme activités soumises à l'esclavagisme, que la femme est consignée à l'immanence dans sa seule fonction biologique et marginalisée des possibilités économiques. La propriété, que nous désignerons en tant qu'issue d'un contrat social à la manière de Rousseau, semble alors passer sous le pouvoir de l'homme en tant qu'héritage adamique, l'homme faisant preuve de transcendance dans son asservissement de la nature : c'est le début de la société patriarcale. Pour autant, nous soutenons la thèse de Beauvoir selon laquelle « il est impossible de déduire de la propriété privée l'oppression de la femme », cette oppression étant la somme de tous les éléments que nous avons préalablement mis en exergue. Ainsi, la femme est marginalisée de toute transcendance en tant que celle-ci voit sa situation économique suivre la conception de sa situation biologique, à savoir la vocation à l'immanence, laissant de fait l’avènement d'une suprématie des hommes sur l'Histoire en tant que celui-ci se positionne effectivement homme-créateur de la technique mais également homme-créateur de l'histoire par l'affirmation de sa transcendance, la femme se répétant dans le temps, l'homme s'accomplissant dans le présent et forgeant l'avenir. Si pour Beauvoir l'oppression de la femme ne peut être déduite par la propriété privée comme nous l'avons vu précédemment, nous considérerons que cette oppression en est démultipliée par l'entrée de la femme en tant que propriété privée. En effet, la possession se fait alors preuve d'humanité, or, la femme est exclue de celle-ci en tant que les enfants dont elle est la mère sont propriétés de la famille de l'homme, elle est également exclue de la succession de l'héritage et, selon Beauvoir « du fait qu'elle ne possède rien, la femme n'est pas élevée à la dignité d'une personne ; elle fait elle-même partie du patrimoine de l'homme, d'abord de son père, puis de son mari ». La femme est alors soumise par ses fonctions naturelles, soumise par sa marginalisation du système économique prenant place à travers la transcendance que l'homme acquiert par le progrès technique, et enfin soumise dans la juridiction qui l'assigne en tout lieu comme inférieure à l'homme. Ainsi se posent les fondements de la place de la femme en tant qu'autre ayant pour seule possibilité de retrouver sa transcendance par la réappropriation de sa place dans la société productive et le dépassement de ses strictes fonctions biologiques.

Yoann STIMPFLING