Analyse critique du projet Dystitles de Canal+


Crédits : Canal +

 

Récemment, Canal+ postait son communiqué de presse autour de son projet “Dystitle”. Cette démarche s’inscrit dans une volonté de l’éditeur d’être toujours plus inclusif. L’argument est de permettre une accessibilité des programmes, mais en réalité, cette volonté cache un enjeu marketing. Et c’est ici que ça coince. Plusieurs médias ont relayé ce nouveau dispositif, mais les promesses mises en avant manquent en réalité de preuves scientifiques attestant de l’efficacité de de ce dispositif.

Dyslexie, un terme obsolète

Tout d’abord, un petit point théorique s’impose.

La dyslexie, désormais appelée Trouble Spécifique du Langage Ecrit (TSLE), appartient à une catégorie plus large de troubles : les troubles spécifiques des apprentissages (TsAp) selon la classification de la DSM-V (American Psychiatric Association, 2013).

Ce trouble neurodéveloppemental est caractérisé par des difficultés persistantes et durables malgré la mise en place d’aménagements adaptés et sans autre explication intellectuelle, sensorielle ou neurologique.

Il est important de spécifier le type de TSLE :

  • Avec déficit de la lecture : lecture de mots et compréhension (anciennement dyslexie)

  • Avec déficit de l’expression écrite : orthographe, grammaire, ponctuation, organisation de l’expression écrite (anciennement dysorthographie)

  • Avec déficit du calcul : sens des nombres, mémorisation, raisonnement.

Dans la majorité des cas, les déficits s’associent et selon les personnes, la sévérité peut être légère, moyenne ou sévère.

Si vous ne comprenez pas très bien, sachez que c’est le cas de nombreux professionnels de santé qui ont du mal à suivre les évolutions des nomenclatures. Alors, imaginez les parents, des personnes “dys”, les enseignants et le grand public ! C’est pourquoi le terme “dys” est encore largement utilisé dans la presse dans un souci de vulgarisation. Cependant, la vulgarisation ne doit pas être promue au détriment des preuves scientifiques.

Ce qu’il faut retenir, c’est qu’un TSLE (dyslexie) varie d’une personne à l’autre, il existe un monde complexe qu’il ne faut pas simplement réduire au terme “dyslexie”. Promouvoir une méthode qui marche pour tous les “dys” est à mon avis un non-sens et surtout une erreur scientifique.

Le projet Dystitles

Dans son communiqué, Canal + se félicite de sa volonté novatrice dans la création de contenus, et de son désir d’inclusion. Il prône un dispositif de lecture conjointe pour les personnes dyslexiques et non-dyslexiques. Maintenant que vous avez en tête la complexité entourant le terme “dyslexie”, vous vous questionnez sur l’élaboration d’un tel dispositif. Mais, ne soyons pas mauvaise langue, et admettons que cette formulation générale s’inscrit dans une démarche marketing.

Nous apprenons ensuite que ce dispositif est issu d’une collaboration entre CANAL+, l’association Puissance Dys et l’agence BETC, qui est une agence de communication. Deuxième point portant à interrogation, il n’est mention d’aucune recherche. Continuons.

La typographie Dystitles a été créée sur la base d’une des typographies de la méthode « Bilexie » élaborée par Béatrice Sauvageot, chercheuse et présidente de l’association Puissance Dys ayant révolutionné l’approche de la dyslexie. Le dessin inédit des caractères joue avec la profondeur et les contreformes des lettres, permettant aux lecteurs dyslexiques de s’affranchir du déchiffrage, tout en étant compréhensible pour les personnes non-dyslexiques.

Béatrice Sauvageot, orthophoniste, a créé l’association Puissance Dys afin “d’aider tous les Dys à sortir de la spirale de l’échec”. Par une approche pédagogique et thérapeutique basée sur le plaisir, l’amélioration et la plasticité cérébrale, l’association accueille tout le monde pour “en finir avec les troubles d’apprentissage”. Des stages, des conférences sont proposées en mettant en avant une équipe de chercheurs, de scientifiques, de pédagogues et de thérapeutes. Le prix est forcément à la hauteur de ces intervenants prestigieux, car oui, “en finir avec la dyslexie” coûte cher.

N.B : Cette méthode peut trouver son public que ce soit chez les professionnels que chez les patients, par la multitude d’outils proposés. Cependant, j’attire l’attention des lecteurs sur le fait que ces méthodes, même si vendues comme telles, ne sont pas magiques, et ne remplacent pas une prise en soin adaptée et individualisée.

Au-delà de l’aspect marketing qui malheureusement attire un public en demande (pénurie d’orthophonistes), nous pouvons nous interroger sur l’absence de preuves valides sur sa méthode “Bilexie”. Les résultats mis en avant par Sauvageot lors de ces interviews sont principalement issues de données empiriques (subjectives). Le directeur général de Canal+, Gérald-Brice Viret, indique que "Nous avons fait des tests auprès de nos abonnés. Les retours sont extrêmement positifs". Formulation enthousiaste, mais d’un point de vue scientifique non recevable, quels sont les résultats en question ? Quel est le profil des abonnés en question ? En réalité, ce projet s’inscrit dans une stratégie de Canal+ de séduire des nouveaux abonnées, et la question de l’inclusion serait l’une des étapes.

Et après ?

Le projet Dystitles fait partie de ces nombreux dispositifs qui se veulent révolutionnaires pour les personnes porteuses d’handicap. Mais, comme dans la majorité des cas, le marketing l’emporte sur la validité scientifique. Je ne critique pas ces projets qui me semblent essentiels pour favoriser l’inclusion, mais je m’interroge de l’impact de telles promesses auprès du grand public. Au sein des foyers, il serait dommage d’entraîner des tensions à cause de sous-titres illisibles pour une partie de la famille, et sans preuve de leur utilité pour les personnes ciblées.

Marine JOUIN


Bibliographie

American Psychiatric Association. (2013). Diagnostic and statistical manual of mental disorders: DSM-5 (5th ed.). Washington, D.C. : American Psychiatric Association.

BFMTV (2023). Canal+ va proposer des sous-titres accessibles pour les personnes dyslexiques. Article d’actualité. https://www.bfmtv.com/tech/actualites/streaming/canal-va-proposer-des-sous-titres-accessibles-pour-les-personnes-dyslexiques_AD-202304270415.html

Canal + Groupe (2023). Première mondiale : Canal + innove et crée DYSTITLES, les premiers sous-titres adaptés à la lecture conjointe des personnes dyslexiques et non-dyslexiques. https://pro.canalplus.com/material/downloadattachment?url=https://videoplusdms.blob.core.windows.net/images/19d1c166-5065-4606-b701-1c333f9b7738.pdf&filename=Communiqué Groupe CANAL+ - Dystitles.pdf

Pour aller plus loin

  • Stratégie de Canal +

https://www.universfreebox.com/article/60960/en-pleine-remontada-canal-prevoit-de-seduire-13-million-de-nouveaux-abonnes-en-france-dici-fin-2021

https://alloforfait.fr/tv/news/115151-resultats-2022-canal-plus.html

  • News médias

https://www.cbnews.fr/hit-parade/dystitles-76368