Amitié(s)


 

David et Jonathan

Rembrandt, Hermitage Museum, Saint Petersburg

Ligne de crédit : Wikipédia


Qu’est-ce-qui fait une bonne amitié? Pourquoi ai-je de l’intérêt pour ces personnes? Pourquoi me sont-elles chères? 

Vaste sujet que l’amitié, traité par de nombreux philosophes… Comment ne pas penser au mythique « Parce que c’était lui, parce que c’était moi » de Montaigne adressé à son fidèle ami disparu Etienne de la Boétie ou encore à l’amitié passionnelle entre David et Jonathan dépeinte dans la Bible?

« Ton amitié était pour moi une merveille, plus belle que l’amour des femmes » (2S 1, 26)

L’amitié est un sujet ancestral, fascinant par son apparente simplicité qui, paradoxalement, ne cesse de faire parler à travers les temps. Je vous propose de creuser le sujet, de s’attarder sur ce qui fait l’amitié et sur ce qui la défait, avec pour m’épauler, l’analyse du plus grand des philosophes, Aristote. 

Une amitié au sens large

C’est dans l’Ethique à Nicomaque qu’il entreprend une étude de cette « vertu particulière » qu’est l’amitié. Tout d’abord, il est important de préciser que par amitié, Aristote entend évoquer tout type de sentiment positif entre humains. Cela peut aller du simple intérêt pour l’autre jusqu’à l’amour; l’amitié devient alors un mot qui permet d’englober toutes ces nuances de relations sociales. 

Un premier constat s’opère sur l’amitié: 

« C’est la chose la plus nécessaire à l’existence »

Et ce, que vous soyez riche ou pauvre, empereur ou mendiant, seigneur ou paysan. Cependant l’amitié n’est pas motivée par les mêmes raisons. Pour la personne aisée, l’amitié est le moyen de préserver ses privilèges. Il lui faut des contacts pour se maintenir pour les hautes sphères et pour saisir les meilleures opportunités. De plus la personne aisée a besoin d’amis pour pouvoir faire étalage de ce qu’il possède via des cadeaux ou encore des dons. C’est l’occasion pour elle d’être remerciée et donc de susciter l’amitié ou « les éloges » chez l’autre. Pour le pauvre en revanche, l’amitié joue un rôle de soutien. Quand la vie afflige et tourmente, il reste au moins des amis fidèles qui peuvent aider ou pour le moins compatir. 

Un deuxième constat est fondamental: 

« L’amitié s’instaure de façon apparemment naturelle »

Autrement dit, pour les Hommes, et plus largement pour de nombreux animaux, il y a un intérêt observable pour la survie de ses congénères. Aristote y voit la source naturelle de l’amitié en ce que chacun a « une affinité pour son semblable ». De là on peut sans aucun problème faire le lien avec l’empathie, qui est une valeur louable et qui expliquerait en grande partie la survie de l’espèce humaine selon les scientifiques. 

Ainsi l’amitié permet la cohésion, ce qu’Aristote ne manque pas de souligner également. On connait bien évidemment son plus célèbre aphorisme « L’Homme est un animal politique. ». Cela est d’autant plus logique quand on se penche sur son étude de l’amitié. Pour qu’elle existe, il est nécessaire qu’il y est relation entre deux êtres au minimum. Il faut donc un échange réciproque. On peut alors étendre l’analyse, du micro au macro, et maintenir que si la vie en société au sein de villes, de régions, de pays, est possible, c’est grâce à l’existence de l’amitié comme rapport cardinal entre les Hommes

Une amitié au pluriel

Le grand axe qui soutient l’argumentaire d’Aristote au sujet de l’amitié est sa déclinaison en plusieurs degrés. Ainsi, on peut distinguer l’amitié noble des amitiés de mauvaise qualité. On peut notamment évoquer les amitiés « accidentelles » qui n’existent que par intérêt. Les deux personnes ne trouvent donc pas satisfaction dans le caractère ou les actions de l’autre. Ils ne sont amis que dans la mesure où autrui peut leur être utile. 

En d’autres termes, ce type d’amitié n’est pas stable, puisque sa raison d’être s’effondre lorsque l’utilité de l’autre s’estompe:

« (Ils) ne s’apprécient que dans les limites, où, chacun à son profil, ils peuvent recevoir l’un de l’autre quelque bien »

Aristote range au même rang les amitiés « sensuelles » et sexuelles. Là aussi, ce qui sous-tend le rapport réciproque est l’utilité que l’on trouve chez l’autre. Cette fois-ci, c’est le plaisir qu’il peut nous procurer qui suscite l’amitié. Or cette amitié n’est pas noble et encore une fois instable puisque ce n’est toujours pas la personne en elle-même qui est appréciée, mais la jouissance physique qu’elle apporte et qui satisfait un besoin très personnel. 

« Le plaisir qu’ils trouvent l’un à l’autre est exactement à la mesure des espérances qu’ils ont de retirer un bien du partenaire »

Une amitié accomplie

Mais alors qu’est ce qu’une vraie amitié? Quand peut-elle être considérée comme noble et parfaite ?

Pour Aristote, l’amitié accomplie se caractérise par un lien entre personnes similaires, suivant l’adage « qui se ressemble s’assemble ». Il est nécessaire d’être vertueux et de s’entourer de vertueux pour que des amitiés stables et sans défauts voient le jour. Si l’on prétend être ami avec un vilain ou une personne de basse vertu, il faut s’attendre à ce que ce-dernier ne perçoive l’amitié que dans les catégories décrites plus haut. Il est donc certain que l’amitié cessera si cette asymétrie se vérifie. 

L’amitié vraie, c’est donc se souhaiter du bien réciproquement, sans attendre un profit de l’autre, si ce n’est sa bienveillance, sans attendre de jouissance, si ce n’est celle de sa compagnie. Il n’est donc pas question d’amitié « accidentelle » dans ce cas, les amis se sont choisis sciemment en fonction de leurs personnalités et de leurs valeurs partagées. L’intérêt est « égalisé » entre les deux pôles et s’annule. L’amitié est noble lorsque chacun des amis est avantageux pour l’autre. Ils s’influencent positivement l’un l’autre. 

Que retenir?

On a vu avec Aristote une proposition de ce qui constitue l’amitié. Elle peut être diverse et varier en qualité. Cependant, malgré ces fluctuations, certains points fixes se dégagent: l’amitié est véritable lorsque elle réunit des personnes aux attentes égales, qui se ressemblent dans leur caractère et dans les valeurs qu’ils partagent. Ils ne sont motivés ni par l’intérêt ni par la sensualité et le bien réciproque que les individus se souhaitent demeure l’aspect principal d’une amitié réussie. 

Pour finir, je voulais traiter du fait que l’amitié au sens noble du terme est un phénomène rare qui se présente réellement comme une chance au sein d’une vie. Et justement parce que la véritable amitié est rare, elle mérite notre attention et notre patience; comme le dit Aristote:

« Un souhait d’amitié naît en effet rapidement, mais pas une amitié. »

Emilien Pigeard



Sources :

L’Éthique à Nicomaque (partie VIII), Aristote