Aimer, écrire
« Tu m’as dit si tu m’écris
Ne tape pas tout à la machine
Ajoute une ligne de ta main
Un mot un rien oh pas grand’chose
Oui oui oui oui oui oui oui oui »
Blaise Cendrars, « Lettre », Du monde entier au cœur du monde
On écrit toujours par amour la première fois qu’on écrit (lettres !). On écrit toujours pour son amour, et pour l’Amour sans doute plus que pour l’amant. On écrit pour combler un manque d’amour, pour crier son absence, pour le chanter ou bien encore pour lui cracher littéralement dessus (« putains vous m’aurez plus ! »). On écrit aussi parce qu’on veut être aimé (ou détesté, peu importe ! voyez les simples provocateurs !). L’écriture et l’amour ne font qu’un, entretiennent un rapport étroit, érotique : quand on n’écrit pas, on n’aime pas ; quand on n’aime pas, on n’écrit pas. Peut-être que l’écrivain est finalement un amoureux de l’Amour, un amoureux d’Eros, écrivant pour aimer et aimant pour écrire…
L’amour propulse l’écriture, fait surgir les mots (car il n’y a que ça, des mots… des mots qui en appellent d’autres, des mots qui aiment se lover contre d’autres mots…). Et pourtant, l’amour est un peut-être, une issue sans issue que l’on écrit, car on n’écrit que sur ce qui se dérobe, que sur le bouleversement de la présence. Aimer ou écrire : voilà la forme que prend le désir, cette libido tournée vers l’absence.
Ce sont deux passions, c’est-à-dire deux nécessités intérieures et déchirantes, deux mouvements dont on ne se sépare pas si on est touché par leur trajectoire si singulière. L’amoureux et l’écrivain délirent, foutent tout en l’air, se ruinent – pour l’autre ou pour la page – perdent pied car l’excès l’emporte toujours ; ils se fatiguent et ils y laissent leur peau ! Vous imaginez bien, vous imaginez bien… Espaces infinis !
L’amour et l’écriture viennent tous les deux d’une unité perdue. L’amour est ce sentiment vers un autre qui naît d’une nostalgie, à savoir celle du ventre de la mère. On aime, et on veut aimer un autre pour retrouver cet état d’union total. On aime car on a perdu notre premier amour. De même, on écrit pour renouer contact avec le monde, celui-ci étant perdu par la conscience qu’on en a et par la conscience qu’on a de nous-même. La langue, la recherche de la langue, n’est rien d’autre que la vaine reconquête de l’union parfaite de notre être avec la vie. Aimer, c’est toujours aimer en réaction au fossé qui nous sépare du ventre ; écrire, c’est toujours écrire en réaction au fossé qui nous sépare du monde.
En amour, en écriture… on embrasse l’amant, on embrasse la langue que l’on explore. On aime, et on se fait dévorer par l’autre ; on écrit, et la page nous dévore. On aime, et l’autre nous lèche le cœur ; on écrit, et la langue nous lèche le corps. Dans les deux cas, l’aventure (intime ! sensuelle ! sexuelle ! perverse ?) emporte notre corps vers des lieux nouveaux, vers cette expérience que la modernité a perdue…
Jean
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