A la recherche des premiers Israélites


Guido Reni, Moïse tenant les Tables de la Loi, 1624

Guido Reni, Moïse tenant les Tables de la Loi, 1624


La stèle de Mérenptah, découverte en 1896, mentionne un peuple appelé Israël. Cette stèle est une preuve de la présence de ce peuple vers 1207 avant Jésus-Christ dans les hautes collines de Judée. Ce peuple aurait donc vécu dans l’actuel territoire d’Israël mais aussi celui de Palestine. Néanmoins cette stèle ne renseigne pas exactement sur l’emplacement du peuple d’Israël, ni d’ailleurs de sa taille. Alors, qui étaient les Israélites ? Et comment cette nouvelle communauté a fondé une culture inédite qui influencera le monde entier ?

 

L’émergence d’une culture israélite

L’archéologie a révélé que les premiers Israélites étaient finalement des villageois et indigènes cananéens qui se sont regroupés et qui ont ensuite constitué une nouvelle communauté ethnique appelé israélite. Jusqu’à récemment, personne ne remettait en cause le fait que les Israélites étaient des immigrants. Ce qui est certain, c’est qu’aux alentours de 1200 avant Jésus-Christ, une transformation sociale a eu lieu dans la région montagneuse du centre de Canaan. Cette transformation sociale s’accompagne d’une modification radicale du mode de vie. Ainsi, les archéologues considèrent que ce furent les premiers Israélites. Cette vague d’occupation fut soudaine. Ces villages éparpillés ne possédaient ni temple ni palais et aucune activité scripturaire n’a quasiment été identifiée. Ainsi, leurs croyances religieuses nous sont inconnues, bien qu’il soit probable que ce peuple ait gardé certaines idoles cananéennes pour culte. De plus, aucune fortification n’a été découverte ; cela remet en cause le récit biblique selon lequel les Israélites étaient en guerre avec leurs voisins. Les premiers Israélites ne combattaient pas d’autres peuples mais essayaient tant bien que mal de survivre à un environnement souvent imprévisible. Ils vivaient dans les collines où ils menaient une existence d’éleveurs et de fermiers. C’est pourquoi Finkelstein et Silberman ont écrit que ce processus « est à l’opposé de celui que décrit la Bible : l’émergence d’Israël fut le résultat, non la cause, de l’effondrement de la culture cananéenne [1]». L’Exode raconté par le texte sacré est par conséquent totalement remis en cause par les découvertes archéologiques de la fin du XXème siècle. De fait, les premiers Israélites étaient finalement d’origine cananéenne. Mais alors, dans quelle mesure ce peuple était-il si différent des anciens peuples ? Comment leur ethnicité s’est-elle formée ?

Il existe de multiples manières pour une ethnie de se différencier des ethnies environnantes. Ce que les archéologues ont découvert provient pour les Israélites de leurs habitudes alimentaires ; en effet aucun os de porc n’a été découvert lors des fouilles de hameaux et villages israélites. En comparaison, à la même période, les Philistins mangeaient de la viande de porc. Les premiers Israélites ne mangeaient pas de porc, non pas pour des raisons économiques ou environnementales car ils pouvaient aisément en élever, donc en manger. Cela signifie que ce peuple à décider de ne plus manger de viande de porc afin, sans doute, d’affirmer leur identité. Cette coutume alimentaire a par conséquent émergé un demi-millénaire avant la rédaction de la Bible et elle constitue encore un élément principal de la culture juive. Cette interdiction est, à l’heure actuelle, la plus ancienne habitude du peuple d’Israël.

Donc, les premiers Israélites étaient des Cananéens qui se sont déplacés. Dans ce cas, pourquoi dans la Bible les Israélites sont des étrangers ? Ils voulaient sans doute bâtir une nouvelle identité, d’où le récit de la destruction des Cananéens.

Il est intéressant de mentionner le fait que cette vague d’occupation, qui s’est donc déroulée vers 1200 avant Jésus-Christ, n’a pas été la première. En effet la première occupation des collines de Canaan s’est déroulée vers 3500 avant Jésus-Christ. Puis les nombreux sites furent abandonnés vers l’an 2200 avant Jésus-Christ. Une deuxième vague d’occupation s’est produite vers 2000 avant Jésus-Christ et regroupait pas moins de deux cents sites. Mais ces sites furent aussi abandonnés vers le XVIème siècle avant Jésus-Christ. Enfin arrive la troisième vague d’occupation, celle des premiers Israélites. L’émergence de cette communauté n’est donc pas inédite mais relève d’un long processus de sédentarisation des peuples à cet endroit.

Cette communauté s’est développée de façon graduelle et a atteint son apogée au VIIIème siècle avant Jésus-Christ. A cette période, les Royaumes de Juda et d’Israël sont fondés : la communauté des Israélites comprenait alors plus de cinq cents sites et comptait environ 60 000 habitants. Ainsi, les recherches archéologiques récentes prouvent qu’il n’y a pas eu d’Exode ni de conquête de Canaan suivie d’une monarchie guidée par David puis Salomon. Cela ne signifie pas que David et Salomon n’aient jamais existé mais que leur histoire a été idéalisée. En effet des archéologues ont découvert à Tel Dan en 1993 une inscription où figure l’expression « maison de David » ; cela témoigne de la renommée de la dynastie de David dans la région.

 

Un Dieu unique

C’est lors du règne de Josias, au VIIème siècle avant Jésus-Christ, que le monothéisme est pour la première fois revendiqué, en réaction à des pressions politiques du monde extérieur. Cette réforme religieuse est revendiquée pour faire face à la culture assyrienne et s’accompagne de la « découverte » de textes anciens légitimant l’idée de Josias. Ce récit – la Bible, ou plus précisément l’ancêtre du Deutéronome – légitime donc une politique de centralisation et d’émancipation vis-à-vis du monde extérieur. De fait, seul le Temple qui surplombe Jérusalem est reconnu comme étant l’unique lieu de culte pour l’ensemble du territoire d’Israël. Le monothéisme, tel que nous le connaissons, est né. Par conséquent Jérusalem, avant cette période, n’occupait pas la place centrale du Royaume d’Israël, comme le prétend la Bible. En outre, les premiers livres de la Bible sont nés dans la Jérusalem du VIIème siècle avant Jésus-Christ. Mais Josias devait faire croire que ces livres avaient été écrits bien avant afin d’asseoir leur légitimité c’est pourquoi il fut décrété qu’ils avaient été écrits par Moïse à une époque ancienne et, pour le coup, mystérieuse. Ces textes ont donc été écrits par des scribes de la cour de Jérusalem, scribes soutenant la politique de Josias et proclamant que YHWH, le nom du Dieu d’Israël sans doute prononcé Yahvé mais qui reste imprononçable, est le seul Dieu d’Israël.

Ce sont par conséquent les Israélites qui ont écrit la Bible et qui ont commencé à avoir foi en un Dieu unique. Cette croyance est au fondement des deux autres religions monothéistes que sont le christianisme et l’islam.

Jusqu’au XVIIème siècle nous pensions que les cinq premiers livres de la Bible (qui constitue la Torah) avaient été écrits par Moïse. Mais au XVIIème siècle, cette hypothèse est remise en cause car des contradictions sont trouvées dans le texte. Cette découverte suppose pour la première fois qu’il y ait eu plusieurs écrivains, écrivant à plusieurs siècles d’écart, de la Bible.

Nous savons qu’en 586 avant Jésus-Christ, après que les Israéliens ont vaincu les Assyriens, la Mésopotamie a envahi Israël : Jérusalem est détruite ainsi que le peuple juif. Néanmoins des Israélites, dont des prêtres du Temple, ont réussi à fuir et se sont exilés à Babylone. Avant leur fuite les prêtres ont réussi à prendre certains documents sacrés. Ainsi, ils vont réécrire les cinq premiers livres de la Bible. Ils ne font donc pas que reprendre les anciens textes, ils ajoutent et retirent certains passages. Exilés, les Israélites se réunissent et prient en suivant les commandements divins : c’est le début du judaïsme tel qu’on le connaît actuellement.

Les rouleaux les plus anciens qui ont été retrouvés datent du III-IIème siècle avant Jésus-Christ. Pour certains, l’ancien Israël est une pure fiction, donc toute la Bible ne serait qu’une simple histoire inventée. Néanmoins, une partie des versets de la Bible a été découverte et ces versets datent du VIIème siècle avant Jésus-Christ. Toujours est-il que le texte biblique actuel a été écrit pendant l’exil babylonien. La victoire du monothéisme est un événement majeur qui reste assez obscur dans la mesure où seul cet exil peut en partie expliquer cette apparition.

 

Nous savons à présent que les textes sur l’histoire des patriarches ont été écrits de nombreux siècles après l’époque à laquelle la Bible situe leurs vies (en l’occurrence entre le VIIIème et VIIème siècle avant Jésus-Christ), d’où les anachronismes et les idéalisations. Bien que certains récits bibliques aient un ancrage historique, il ne faut jamais oublier que ce sont des écrits influencés par un paradigme particulier, en l’occurrence celui des auteurs. La Torah est en effet, comme l’écrivent Finkelstein et Silberman, « un patchwork, assemblé à partir de sources variées, et dont les diverses pièces furent écrites durant des circonstances historiques dissemblables, pour exprimer des points de vue religieux ou politiques différents [2]».

Toujours est-il que la Bible conte l’histoire d’un développement familial, avec des hauts et des bas, des joies et des peines, de l’amour et de la haine. Le texte sacré qu’est la Bible raconte l’histoire de la relation entre Dieu et les humains d’une façon hautement philosophique. En outre, c’est l’histoire de la recherche d’une terre prospère et d’une quête de la liberté, d’où son caractère purement universel.


[1] Israël Finkelstein et Neil Asher Silberman, La Bible dévoilée, Gallimard, 2002

[2] Ibid.

 

Jean


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